Concejales y alcaldesas (conseillers-conseilleres, messieurs-dames les maires)

Peu m’importe à quels partis vous appartenez, et espérons qu’il en soit de même pour vous dans votre pratique de gouvernance. Nous ne voulions pas choisir – bien que le système nous ait obligés à le faire – un bulletin avec une liste entière, fermée, établie on ne sait où ni par qui. Nous ne voulions pas choisir des militants d’un parti, mais des hommes et des femmes du peuple, des gens de la rue, voisins et voisinnes de quartier.

Nous vous avons élu(e)s comme nous pouvions, mais vous êtes là, conseillers et conseillères de nos villes et cités. En dépit de tout, et de nous-mêmes, vous représentez le plus généreux et le meilleur de la politique: l’engagement en faveur des citoyens, et non pas des partis érigés en fin. Vous représentez la politique au pied de la rue, au service des gens. Espérons que dans votre tâche vous soyez libres des hautes directions, même si bien souvent ce sont elles qui vous ont désignés. Espérons que vous fassiez abstraction des enquêtes de vote, et que vous demeuriez etrangères ou etrangers aux obscurs engrenages du pouvoir. Espérons que vous mettiez en oeuvre une politique digne de ce nom: une politique humaine, incluant âme et sensibilité, esprit et coeur, intelligence et compassion, qui ne sont pas deux choses distinctes, mais bien une seule et même chose.

Vous êtes sans doute l’écrasante majorité des politiques, si l’on peut vous dénommer ainsi. Dans la grande majorité des cas, vous faites de la politique sans appartenir à la classe politique, sans vous soumettre à leurs servitudes et sans vous empêtrer dans leurs querelles sans fin. En dépit de cela – ou plutôt en raison de cela – vous ne faites pas la une ou les titres des grands médias, à moins que les grands partis ou les puissants milieux ne vous y utilisent pour leurs propres intérêts, qui ne sont pas les notres, pas plus que les votres. Mais de quoi nous parlent alors les premières pages et les grands titres ? Et qui donc servent ceux qui ont fait de la politique leur métier ?

Ne faites pas de la politique votre métier, encore moins un moyen de promotion et de profit personnel. Continuez d’être ce que vous êtes, ce que votre nom indique. “Concejal” vient du latin concilium, qui, à l’origine, désignait une assemblée citoyenne chargée d’administrer les affaires de tous. Comme vous le constatez, ce terme a la même racine que “concilier” et “réconcilier”. Que d’enseignements nous apportent les mots, pour peu que nous acceptions qu’ils nous parlent avec leur intention d’origine, celle qui était la leur avant que nous ne les ayons prostitués et manipulés, comme il arrive souvent dans les forums politiques, qui corrompent ainsi à la fois le langage et la politique. Vous vous appelez aussi “édiles”, qui vient du latin aedes, “maison”. Ainsi appelait-on dans la Rome antique ceux qui étaient chargés de veiller sur les temples et les maisons publiques. Voilà donc: prenez soin de nos maisons, prenez soin de notre maison commune, et veillez à ce que tout le monde ait une maison. Veillez à faire de nos villes et cités des temples pleins de souffle vital, de calme et de bien-être pour tous.

Tenez-vous en à votre nom, à votre être véritable. Soyez des conciliateurs là où il y a des divergences, car il y en aura toujours. Soyez réconciliateurs là où il y a des conflits, car ils seront inévitables. N’obéïssez pas aux consignes des états-majors, ne servez pas les intérêts des grands. Ne tombez pas dans la tentation de la politique comme profession et comme carrière, car nous savons à quoi cela conduit: à s’abaisser et s’asservir, comme à ignorer et mépriser l’immense majorité.

À vous, “alcaldes y alcaldesas” (messieurs-dames les maires) récemment élu(e)s, nous vous adressons nos compliments et vous exprimons notre gratitude, principalement à vous qui allez gérer les municipalités les plus petites, ignorées de tous, et à vous qui, étant à la tête des grandes cités, allez réduire vos revenus. Vous encore, mesdames et messieurs, prenez soin du terme, du nom que vous portez. “Alcalde” (maire), comme vous savez, vient de l’arabe alqadi: “juge”. Le juge est celui qui rend justice. Rendez justice dans tout ce qui est en votre pouvoir. Que vous pouvez peu ? Qu’il vous revient seulement de gérer les miettes provenant de lois que d’autres vous imposent ? Même s’il en était ainsi, soyez fidèles en ce peu et tout sera différent. Nous avons déjà vu une maire s’opposer à la première expulsion. Ne regardez pas les étas-majors qui vous ont choisi(e)s pour la liste, mais bien les citoyens qui vous ont élu(e)s pour leur service. Ne regardez pas vers le haut, regardez vers le bas, vers ceux du plus bas. Soyez justes et rendez justice.

Qu’est-ce que la justice ? C’est que tous – tous ! – aient une maison et qu’ils vivent dignement.

Que tous mangent. Que personne ne vole et n’en ait de trop. Que personne ne soit contraint à grapiller de nuit dans le container de la poubelle. Que les droits humains ne dépendent pas de la couleur de la peau, de quelques papiers ou de quelques frontières, toujours imposées par la force. La justice requiert que l’on résiste aux diktats des grands pouvoirs, auxquels sont tant soumis les grands partis. La justice est le maximum bien commun possible, le maximum état de paix ou de bien-être possible pour tous les êtres.

Il n’y aura pas de justice sans paix, ni de paix sans justice. Il n’y aura pas de justice et de paix si vous ne croyez pas qu’elles puissent être dans ce monde en péril. Mais elles ne pourront être qu’en partant du bas, et en apportant chaque jour un petit grain.

*Par souci de fidélité au texte et à l’intention de l’auteur qui joue sur l’étymologie des mots, nous conservons ces termes en espagnol en indiquant entre parenthèses leur “équivalence” en français.

(7 juin 2015)

Traduit de l’espagnol par Peio Ospital