Divorcés, communiez en paix

Alors que voici deux jours on trouvait 50 cadavres de migrants dans la cale d’une barque près de la Sicile, qu’hier on découvrait 71 cadavres en état de décomposition dans un camion fermé et abandonné sur une autoroute d’Autriche (Horreur ! Europe, as-tu donc perdu totalement ton âme et ton nom ?), alors que je viens d’entendre que des centaines d’Africains ont fait naufrage et ont péri face à la côte libyenne…, j’ai honte de m’épancher sur la communion des divorcés remariés.

Cela me coûte et me fait honte, et je demande pardon de le faire, mais je vais le faire. Car la communion pour les divorcés est aussi une histoire de douleur, bien que moindre.

Dans un mois des centaines d’évêques (eux n’auront pas honte ?) vont se réunir au Vatican pour décider, entre autres choses, si les hommes et femmes divorcés remariés pourront recevoir la communion dans le cadre de l’eucharistie. Ils décideront que oui, non sans imposer certaines conditions qui ne me paraissent pas dignes de l’Esprit de la Vie ou de l’Évangile. Ils le feront avec la meilleure volonté, et nous leur en sommes reconnaissants, mais ils pourraient s’économiser la peine et surtout l’argent, vu que la question est déjà réglée, en paix ou sans elle, par l’immense majorité des chrétiennes et des chrétiens touchés par cette situation. Très peu d’entre eux vont à la messe, et quasiment tous ceux qui y vont communient. Et ils font bien, mais tous ne le font pas en paix. Que ne communient-ils pas tous en paix !

Récemment, une vingtaine de théologiens progressistes de l’État espagnol – dont cinq Basques – ont lancé une campagne internationale soutenant ces mesures de générosité défendues par le pape et combattues par beaucoup d’évêques. J’ai signé le texte et je l’ai diffusé, mais je ne partage pas ses arguments. Voici pourquoi.

Ils plaident pour que le pape permette aux personnes divorcées remariées de communier, et pour cela ils rappellent que “Jésus mangeait avec les pécheurs”. C’est-à-dire qu’ils considèrent ces personnes comme pécheresses et coupables. Pauvres brebis égarées du troupeau. Les théologiens demandent pour elles une “règle de miséricorde” assortie de certaines conditions, les mêmes que probablement imposera le Synode, à savoir “repentir, reconnaissance de faute et bonne résolution” (sic). Ils proposent donc “une règle à laquelle tous ne pourront recourir” (sic). Amis théologiens progressistes, pensez-vous vraiment que ces personnes sont coupables pour le simple fait d’avoir divorcé et de s’être remariées ? Et c’est de cette manière si canonique, si soumise à conditions et humiliante que vous comprenez la miséricorde de Jésus ? Il m’en coûte de l’admettre. Cela me peinerait énormément.

Le texte adressé au pape observe, en outre, que dans sa proposition “n’est absolument pas remise en question l’indissolubilité du mariage”. Cela me rend à nouveau perplexe. Vous n’admettriez donc pas que pour quantité de raisons complexes, toujours douloureuses, l’amour humain parfois se perde ou se rompe ? Ou vous restez agrippés à cet artifice canonique qui veut que, bien que l’amour se dissolve, le mariage demeure indissoluble à moins que le tribunal ecclésiastique ne l’ait déclaré “nul” ou inexistant à son origine ? Vous continuez de penser que c’est une signature canonique qui fait le sacrement et que celui-ci, une fois validement contracté, perdure bien que l’amour fasse défaut ? Arguties et embrouilles. Je suis certain que ce n’est pas là votre manière de penser, mais alors, de grâce, revoyez vos arguments.

Pour sa part, José Maria Castillo, qui ne figure pas parmi les vingt théologiens signataires du texte, publiait voici quelques jours un riche article dans lequel il démontre avec des données fondées que Jésus n’enseigna pas l’indissolubilité du mariage comme telle, que celle-ci ne fut pas reconnue dans l’Eglise durant plus de mille ans et que jamais elle n’a été érigée en dogme. Il en est ainsi, et c’est bon de le savoir. Les évêques commettent beaucoup d’abus quand ils nous parlent au nom de Dieu et de la foi de l’Eglise en ignorant les données de l’exégèse et de l’histoire. Quand Jésus dit: “Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas”, il n’aspirait pas à professer proprement l’indissolubilité, mais entendait plutôt protéger les épouses contre les abus de leurs maris, à qui seuls était reconnu le droit au divorce, et ils pouvaient l’exercer pour une quelconque futilité (il suffisait par exemple que l’épouse ait laissé une fois brûler le repas).

Chacun sait, en outre, – bien que Castillo ne le dise pas – que, quel que fût l’enseignement de Jésus, l’Évangile de Mathieu reconnaît pour le moins une exception à l’interdiction du divorce, qui est autorisé dans “le cas de porneia” (Mt 5, 32): terme grec dont personne ne sait ce qu’il signifie exactement et que l’on traduit habituellement aujourd’hui par “union illégale”. Dans le cas d’”union illégale”, selon le Jésus de Mathieu, il serait légitime de divorcer et de se remarier. Soit ! Et alors ne serait pas illégale toute union matrimoniale dans laquelle n’existe pas un minimum de dignité et de qualité relationnelle entre les époux ? Chacun sait aussi que Saint Paul reconnaît une autre exception dans le cas de mariages mixtes entre un conjoint croyant et un autre incroyant: si la partie incroyante souhaite divorcer, la partie croyante est libre de se remarier, car “c’est pour vivre en paix que Dieu vous a appelés” (1Cor. 7, 15). (Rappelons aussi que le pape Benoît XVI, dans la logique de Paul, posa la question de savoir si le défaut de foi des époux ne serait pas une raison suffisante pour faire valoir la “nullité” du mariage…). Et moi je pose la question: si le défaut de “foi” est un motif suffisant, le manque d’amour ne le serait-il pas à plus forte raison ?

Mais revenons à l’article de José Maria Castillo. J’admire la finesse et l’ampleur de sa culture théologique, la liberté et l’étendue de ses publications théologiques, mais sa démonstration ne me satisfait pas non plus dans le cas qui nous occupe. Il se borne à démontrer d’une part que Jésus ne professa pas l’indissolubilité, et d’autre part que l’Église ne l’a pas érigée en dogme. Faut-il entendre que si Jésus l’avait expressément enseignée et que si l’Eglise l’avait clairement érigée en dogme, alors oui, ce serait une question définitivement tranchée et intangible ? Peut-être Jésus, comme tout bon prophète, ne visait-il pas en tout au-delà de ce qu’il pensait et disait, au-delà donc de ce que lui-même “croyait” et “enseignait” ? Et l’Esprit de la vie serait-il pour toujours enchaîné à des dogmes qui, dans leur formulation et leur signification concrète, restent liés au langage et aux contingences de chaque époque, et qui toujours sont le fruit d’une culture et d’une histoire en constante évolution ?

Aussi longtemps que la théologie et l’Église ne réviseront pas radicalement leurs schémas traditionnels, tant qu’elles n’assumeront pas pleinement la logique de l’Esprit qui renouvelle sans cesse toutes choses au-delà de la lettre, des dogmes et des expressions de l’histoire, rien d’essentiel n’aura changé dans la théologie et dans l’Église. Nous nous bornerons à rafistoler des outres anciennes. À vin nouveau, outres nouvelles.

Respirez et vivez donc en paix, amies/amis divorcés et remariés. Communiez en paix à la table de la Vie. Respirons, vivons, communions en paix. Et soyez assurés que Jésus est avec vous, avec nous, non pas comme un hôte indulgent, mais bien comme un bon compagnon de route, comme un joyeux compagnon de table.

(6 septembre 2015)

Traduit de l’espagnol par Peio Ospital