Encore l’Avent

De nouveau c’est l’Avent, et résonnent comme de nouvelles prophéties écrites par Isaïe il y a 2700 ans, que l’on dit facilement : On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre (Is. 2,4). Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines (Is. 11,1). Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau. Le veau et le lionceau seront nourris ensemble.[…] Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra. (Is. 11,6-8). Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages; il enlèvera la honte de toutes les peuples (Is. 25,8).

De nouveau c’est l’Avent, et l’émotion n’est pas moindre –un peu plus triste, ça oui, en voyant de par le monde ce que nous y voyons–, quand du fond des siècles et des millénaires, du fond du cœur de l’humanité et de tous les vivants avec toutes leurs pandémies, nous arrivent de nouveau les échos de celles-ci et d’autres prophéties messianiques, quand chaque dimanche nous allumons un nouveau cierge près des feuilles vertes, quand nous recommençons à entonner les cantiques de toujours, quand chaque jour, matin et soir, je reviens à mon mantra préféré : Maranatha (« Viens, Seigneur »). C’est ce que signifie Avent (en latin) ou Parousie (en grec) : venue. Un substantif et surtout, un verbe conjugué à tous les temps : Il vint, viens, Il vient, Il viendra, au-delà du temps que marquent nos pendules exactes.

Oui, mais qui est le sujet de cet Avent ? Qui ou qu’est-ce qui vint, vient, viendra ? Il y a beaucoup de façons de le dire.

Vers les années 28 de notre ère que nous appelons « chrétienne », dans les hameaux paysans près du lac de Galilée, alors province romaine de la Palestine, un jeune prophète appelé « Jésus » natif de Nazareth le dit à sa manière : « Femmes et hommes étouffés par les dettes et la faim, tourmentés par la maladie et les pandémies, soumis par l’Empire et le Sanhédrin, réjouissez-vous ! Heureux êtes-vous, bienheureux, parce que Dieu vient, parce qu’arrive votre libération ».

Mais personne ne vint et tout continua pareil, sauf un petit groupe d’hommes et de femmes, dans le cœur desquels s’était allumée l’espérance palpitante, et sauf Jésus qui fut arrêté, sommairement jugé et cruellement crucifié. Un de plus. Et ainsi jusqu’à aujourd’hui. De petites pirogues continuent d’arriver, des milliers d’immigrants s’entassent dans des conditions déplorables sur le quai d’ Arguineguín (Iles Canaries), et la juge considère qu’on n’a commis à leur encontre aucun délit et elle archive l’affaire. Est-ce la justice ou est-ce la loi, est-ce légal ? Mais ce n’est pas la justice que nous espérons.

Et à quoi sert l’espérance ? L’espérance transforme le deuil en Avent, comme cela se produisit dans quelques disciples de Jésus, et ils n’eurent besoin pour cela d’autre miracle que le souffle qui guérit la mémoire et pousse la vie, comme il transforme la feuille qui tombe. « Le martyr Jésus n’est pas resté dans la tombe – dirent Marie de Magdala d’abord et Pierre ensuite-, mais sa descente aux enfers de l’histoire a été l’ascension à la Source de la Vie comme il est écrit de tous les martyrs de nos écritures inspirées. C’est ainsi que j’y crois moi aussi.

En cohérence avec son image de Dieu, du monde et de l’histoire, ils pensèrent en plus que Jésus, le martyr exalté des derniers temps, constitué Messie ou Christ universel, reviendrait très vite –question de mois ou d’années– pour mettre en application tout ce qu’il avait annoncé, pour en finir enfin avec les angoisses et les oppressions de ce monde et étrenner le monde selon les Béatitudes qui résonnaient encore à leurs oreilles. Et ils invoquaient Jésus pour qu’il revienne bientôt du ciel et que la tristesse en finisse sur la terre : Maranatha (« Viens, Seigneur »). C’était leur façon d’encourager l’espérance active, et c’était ce qui avait de l’importance alors et c’est ce qui a de l’importance pour nous maintenant.

Jésus n’est pas venu, ni ne viendra d’en haut comme on l’avait imaginé, il n’y aura pas non plus de fin du monde, pas même quand la Terre finira par être absorbée par le soleil dans 5 milliards 500 millions d’années. Jésus se trompa-t-il, quand il annonçait la fin de la misère et de l’oppression des pauvres de Galilée en Palestine ? Non. Même si toutes les images qu’il eut de Dieu et toutes les idées qu’il se fit sur le futur serraient erronées, et elles le furent ainsi sûrement, Jésus ne se trompa point. Il vécut en Avent, en espérance inspirée et active, et celui qui espère ne se trompe pas, comme celui qui respire ne se trompe pas.

J’ai devant moi deux icônes qui depuis plus de 30 ans m’accompagnent tous les jours sur ma table de travail et dans mon coin de méditation, le Jésus crucifié de la chapelle de Saint Damien devant lequel le jeune François d’Assise (XIIIe s.) trouva la lumière dans sa recherche obscure, et le Christ-Sauveur de Roublev (XVe s.), plein de douceur et d’harmonie… Je tourne mes yeux vers Jésus, car dire Jésus est pour les chrétiens, pour moi aussi, une façon –il y en a beaucoup d’autres, religieuses ou laïques– de dire, d’invoquer, d’embrasser la présence et le désir qui battent dans le Cœur de tous les êtres. Le Tout plus grand que la somme de toutes les parties. Et pendant que je respire avec l’Univers je répète : Maranatha.

De ses lèvres silencieuses, du fond de mes découragements et de mes contradictions, me parviennent des mots de promesse et d’appel : « Ô hommes et femmes de tous les temps, chrétiens ou pas, croyants ou athées, l’Avent n’est ni passé ni futur, c’est incarner la bonne Présence dans laquelle nous sommes tous Un. Moi j’ai vécu mon Avent, vivez vous le vôtre qui, tout comme le mien, est l’Avent de toute l’humanité, de tous les vivants, de tout l’Univers ».

Aizarna, le 6 décembre 2020

Traduit de l’espagnol par Dominique Pontier