La feuille et l’arbre

Allégorie à la mémoire de tous ceux et toutes celles dont nous avons perdu la présence apparente

Un après-midi d’automne, j’étais dans un parc, absorbé dans la contemplation d’une toute petite et belle feuille en forme de cœur. Elle était de couleur rougeâtre et pendait quasiment d’une branche, de laquelle elle semblait sur le point de tomber. J’ai passé un long moment avec elle et lui ai posé de nombreuses questions. J’ai appris que la feuille avait été la mère de l’arbre. Normalement, nous considérons l’arbre comme la mère et les feuilles comme les enfants, mais, en observant la feuille, j’ai vu qu’elle était aussi la mère de l’arbre. La sève prélevée par les racines n’est rien d’autre que de l’eau et des minéraux, qui ne suffisent pas à nourrir l’arbre, qui de fait la distribue aux feuilles. Les feuilles se chargent de transformer cette sève rudimentaire en sève élaborée et, avec l’aide du soleil et de l’atmosphère, de la renvoyer pour nourrir l’arbre. De plus, comme la feuille est reliée à l’arbre par une tige, il est facile de voir la communication entre les deux.

J’ai demandé à la feuille si elle avait peur parce que l’automne était arrivé et que les autres feuilles commençaient à tomber. La feuille me dit : “Non, je n’ai pas peur. Durant tout le printemps et l’été, j’étais très vivante. J’ai travaillé et aidé à nourrir l’arbre et une grande partie de moi-même est contenue dans cet arbre. De grâce, ne dites pas que je ne suis que cette petite forme, car la forme de feuille n’est qu’une petite partie de moi. Je suis l’arbre tout entier. Je sais que je suis dans l’arbre et que, lorsque je retournerai à la terre, je continuerai à nourrir l’arbre. Et c’est pour cela que je ne suis pas inquiète. Lorsque je quitterai cette branche et volerai dans les airs jusqu’à la terre, je saluerai l’arbre et lui dirai “à bientôt”.

(Thich Nhat Hanh, maître zen vietnamien, La paix un art, une pratique, 1996)