Noël chrétien et Noël universel

On peut aimer ou ne pas aimer le Noël des rues illuminées, de la propagande consumériste, des chants de Noël écorchés, des rassemblements apathiques, des cadeaux obligatoires… ou même le détester. Cependant, si nous parvenons à le libérer de son exploitation commerciale, de nos ambitions trompeuses, de nos liturgies insipides, de nos discours creux et de nos dogmes dépassés, si nous ouvrons les yeux et le regardons dans sa profondeur universelle, Noël pourrait toucher nos cœurs, y allumer une petite flamme de paix créatrice, le rendre plus humains pour notre bien et pour le bien commun de la Terre.

Je ne fais pas seulement référence à la Nativité chrétienne, mais aussi à la Nativité universelle, la Nativité du soleil aux solstices de chaque année et dans le miracle de l’aube de chaque jour, la Nativité des azalées en fleurs, la Nativité de chaque naissance désirée et attendue sous toutes ses formes, la Nativité de la renaissance du bien et de l’espoir dans le monde malgré tout. Béni soit la Nativité universelle de la Vie sous toutes ses formes !

Béni soit aussi le Noël de Jésus de Nazareth avec cette imagerie attachante qui est gravée dans mon cœur depuis l’enfance : la crèche, la grotte, les bergers et les paysans, les champs de Bethléem, le chœur des anges au milieu de la nuit, l’étoile guidant les sages de Perse, les coffres d’or, d’encens et de myrrhe. C’était mon premier Noël et c’est toujours mon premier Noël pour l’enfant que je suis toujours. Mais pour le septuagénaire que je suis devenu sans m’en rendre compte, le Noël de Jésus n’est rien de moins que mon icône la plus proche et la plus inspirante du Noël universel. Et je ne sais pas s’il faut appeler chrétien ce Noël de Jésus, parce que le christianisme est arrivé cent ans plus tard et parce que, après tout, il n’y a qu’un seul Noël.

Il était déjà célébrée sous d’autres noms bien avant Jésus. Des millénaires auparavant, de nombreux peuples célébraient le solstice d’hiver, vers le 21 décembre dans l’hémisphère nord et vers le 20 juin dans l’hémisphère sud, lorsque l’inclinaison de la lumière du soleil sur la Terre est maximale et que la nuit devient plus courte et le jour plus long. C’était et c’est toujours la fête du soleil et de la Terre, la fête de ses fruits donnés en nourriture commune, la fête de la Vie.

Les Mayas, les Aymaras, les Incas et les Mapuches célébraient et célèbrent toujours le retour ou le nouveau lever du soleil. Il en est de même pour les Maoris de Nouvelle-Zélande, les Dogues du Mali et les Samis de Laponie. Et la même chose au Japon, en Chine, en Inde et en Perse. Et les peuples slaves, comme la Russie et l’Ukraine, ainsi que les Celtes. Les Allemands et les Scandinaves évoquaient la naissance de Frey, dieu du soleil, de la pluie et de la fertilité, en représentant la divinité par un arbre à feuilles persistantes. À Rome, ils célébraient la “Nativité du Soleil invaincu” le 21 décembre, et les adeptes du culte mithriaque dans tout l’Empire romain commémoraient la naissance de Mithra dans une grotte le 25 décembre.

Lorsque le christianisme s’est répandu et, à partir de Constantin, s’est imposé, il s’est produit ce qui s’est produit à toutes les époques, dans toutes les cultures et dans toutes les religions : la nouvelle religion a assimilé l’ancienne fête et l’a revêtue d’un nouveau nom, d’un nouveau motif et d’une nouvelle signification. Ainsi, la fête de la lumière et de la nature qui renaît est devenue la fête de la naissance de Jésus, nouvelle lumière – la même Lumière – qui illumine et réconforte la vie. Rien ne se perd, tout se transforme. Les calendriers et les noms, les rituels et les significations concrètes changent, mais le même Soleil revient sur la même Terre. Le mystère vivifiant de la Lumière est à nouveau révélé, rendu présent.

Sur la naissance de Jésus, personne ne sait rien, si ce n’est qu’il était le fils de Marie et de Joseph (ou peut-être d’un père inconnu) et qu’il est né à Nazareth dans une famille nombreuse et pauvre. Il était libre et fraternel, compatissant et guérisseur. C’est pour cela que ses adeptes l’ont reconnu comme le Christ ou le Messie, celui qu’ils attendaient et qui devait annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, guérir les malades, libérer les captifs. Avec le temps, des poètes comme Luc ont créé de magnifiques récits symboliques racontant sa naissance. Il y en eu aussi d’autres qui l’on confessé comme le Verbe ou Logos divin créateur du monde. “Le Verbe s’est fait chair”, lit-on dans l’Évangile de Jean. C’est au IVe siècle que fut élaboré le Credo actuel, qui confesse Jésus comme le Fils unique de Dieu, “de même nature que le Père”, qui “s’est incarné de la Vierge Marie”. C’est alors que les chrétiens ont commencé à célébrer rituellement la naissance de Jésus.

Je le fais toujours, mais je ne peux pas croire le Credo à la lettre. Je ne peux raisonnablement penser à un Dieu omnipotent, créateur antérieur au monde tout en lui étant extérieur, qui, au cours des 13,7 milliards d’années de cet univers en expansion avec des centaines de milliards de galaxies abritant probablement d’innombrables planètes avec de la vie, dans cet univers qui n’est peut-être qu’un parmi d’autres univers sans nombre, ne se serait pleinement incarné qu’une seule fois, et il l’aurait fait précisément sur la planète Terre, dans cette espèce transitoire qu’est l’Homo Sapiens, il y a 2000 ans, dans un mâle juif appelé Jésus, qui aurait été conçu sans gamètes mâles et serait venu sur Terre pour expier nos péchés.

Je ne peux plus croire au dogme de l’incarnation compris à la lettre, mais je célèbre la Nativité de Jésus. Chaque jour, pendant cette période de fête, je regarderai et m’inclinerai avec tendresse devant la crèche, le Bethléem de notre maison. Bet-lehem, maison du pain. Un beau Bethléem dans un monde plein de désirs et de peines. Je rejoindrai la petite communauté chrétienne d’Aizarna et je chanterai avec elle, de mon cœur et de ma bouche, les mots du Credo chrétien : “Il s’est incarné de la Vierge Marie”, sans me sentir lié par la signification traditionnelle et dépassée de ces mots. Je fêterai le Noël chrétien de Jésus, symbole du Noël du cœur sans frontières, le Noël de l’humanité, le Noël de la planète, le Noël du Cosmos infini, fait de feu ou de lumière, de matière spirituelle, matrice mystérieuse animée par la Créativité d’où naissent les univers, les soleils, les planètes, les azalées, les rouges-gorges et les agneaux, et cet admirable et si contradictoire Homo Sapiens qui disparaîtra peut-être avant d’atteindre l’équilibre qu’il recherche, sa véritable divinité : la bonté créatrice heureuse.

Il y aura ceux qui diront que ce Noël que je célèbre n’est pas chrétien. Je ne sais pas ce qu’ils appellent chrétien. Pour ma part, je pense qu’être chrétien ne nécessite pas de professer à la lettre des doctrines incompréhensibles aujourd’hui, dans des institutions hiérarchiques qui n’ont plus de sens aujourd’hui, et que ce christianisme va disparaître, il est déjà en cours de disparition. Je pense qu’être chrétien, dans le fond, consiste à créer et à prendre soin de la vie, si merveilleuse et si fragile, la vie dans la fraternité et la joie, en suivant l’Esprit ou l’inspiration de Jésus, béni soit-il.

Aizarna, 22 décembre 2022

Traduit de l’espagnol par Peio Ospital