Fête dieu

Jour du Corpus Christi dans l’Église catholique, si populaire en Europe et Amérique. Fête du corps de Jésus et de tous les corps. Du pain et du vin, fruit de la terre et de la communion de tous les êtres. La Terre est un grand organisme vivant. L’univers, avec ses étoiles et galaxies, ses trous noirs et ses vides, est un corps immense.

Regarde plus près. Chaque atome est un corps dans lequel se développe l’univers de l’infiniment petit. Nos images et concepts s’évanouissent : ce que nous imaginons comme particule ou corpuscule peut se comporter comme une onde incorporelle et, à l’inverse, l’onde incorporelle peut adopter la forme de particule. Quoi est quoi ?

Je m’y perds, mais je me réjouis de m’y perdre, je suis plein d’étonnement devant l’énigme de cette configuration « matérielle » qu’est chaque corps. Nos schémas et frontières de matière-esprit, espace-temps, passé-futur, lointain-proche, semblent se diluer. Tout corps est « animé », et toute âme est toujours « incorporée » : émerge d’un substrat « corporel » et se manifeste dans une forme corporelle. La vie émerge d’une agglomération de matière et se manifeste dans la bactérie ou dans la fleur. La conscience émerge du cerveau et se manifeste dans le regard.

Nous sommes un corps en relation avec tout ce qui est. Nous sommes nuage, eau, air. Nous sommes chenille et papillon. Et mûrier, et mésange charbonnière qui mangea sa graine, ou l’homme et la femme qui la planta, et toute l’humanité. Nous sommes des atomes qui se préparaient dans ce Bing- Bang ou dans d’autres depuis toujours. Nous sommes des neurones formés de centaines de milliers de millions d’atomes en relation. Nous sommes des particules de matière ouverte, source inépuisable de possibilités. Nous sommes esprit. Nous sommes miracle.

La vie est faite de matière « inerte », mais c’est comme si la matière inerte était faite de souffle vital éternel. Comme si la matière était esprit et l’esprit matière, mère de tout ce qui est, sainte ruah ou souffle ou esprit, âme de tous les êtres : de l’air et de l’eau qui courent, du géranium en fleur, de la mésange charbonnière qui chante, de ces pauvres et merveilleux êtres humains en chemin que nous sommes, sève, fruit et graine de l’évolution universelle. Je me prosterne dans le temple du monde, au portail du Mystère qui enveloppe et anime l’univers et chaque corps.

Quand fut instituée la fête Dieu il y a presque 800 ans, les sciences modernes n’existaient pas encore, ni ne se tolérait dans l’Église catholique la liberté d’opinion. On pensait que Dieu était une entité suprême, autre et distincte de toutes les entités du cosmos, et que le corps de Jésus de Nazareth était, pour tous les temps dans tout l’univers, l’unique corps ou la vraie incarnation de Dieu. Et l’on croyait que « le corps et le sang » de Jésus se rendaient miraculeusement présents dans le pain et le vin par la transsubstantiation, grâce aux paroles de consécration prononcées à la messe par le prêtre.

Et il se racontait des légendes d’hosties consacrées qui saignaient. On adorait le corps de Jésus, mais dépréciait le corps humain, sa chair « pécheresse ». On condamnait ses pauvres plaisirs, surtout ceux des gens les plus pauvres.

Célébrons Corpus Christi d’une autre manière. Célébrons notre corps, si merveilleux et si vulnérable. Prenons soin du corps, sans le torturer avec nos obsessions, sans le soumettre à l’esclavage de nos modes et de nos peurs. Respectons comme sacré le corps d’autrui, sans nous l’approprier. Ressentons comme étant nôtre le corps de l’affamé, du torturé, du réfugié marchant dans la boue ou renvoyé ou noyé dans la mer, de la femme violée, maltraitée, assassinée. C’est notre corps. C’est le corps de Jésus, c’est le corps de Dieu.

Oui, corps de Dieu. Dieu n’est pas un être incorporel séparé du monde. Il n’est pas le monde, mais il n’est pas sans le monde. Dieu est comme la palpitation intime, l’énergie originaire, la créativité intarissable, la possibilité infinie, la lumière de la conscience, le pouvoir du bien, la communion universelle, la présence plénière en chaque partie du monde en éternelle évolution. Dieu est comme l’Âme ou la conscience ou le Tout ou l’Infini émergeant, qui est infiniment « plus » que la somme de toutes les parties qui forment le monde.

Mais ce ne fut pas Dieu en premier et ensuite le monde, comme n’est pas première la conscience et ensuite le cerveau. Ils sont et se développent ensemble. Dieu croît ? C’est une façon de parler. Le monde est une réalité ouverte à d’infinies possibilités. Et Dieu est l’ouverture de l’Infini dans un monde ouvert. Ou le Futur Infini présent au-delà de nos catégories spatiales et temporelles. Il Est.

Ce sont des images de Dieu. Dieu est comme l’âme du monde et le monde entier est comme le corps de Dieu. Il n’y a pas de Dieu sans corps, ni de corps sans Dieu. Nous sommes en Lui / Elle. Il Est en nous, infiniment plus qu’un Tu séparé. Il prend corps dans le blé qui mûrit ou dans la vigne qui fleurit dans les champs d’Olite, dans la promesse d’amour ou dans la prière du pèlerin dans l’ermitage de Eunate.

Et en toi, amie, ami, dans le corps que tu es, si éphémère mais habité par l’Infini, l’Éternel. Toi aussi, comme Jésus, en communion avec tout l’univers en mouvement et évolution, tu es corps de Dieu. L’Infini se manifeste et émerge de toi. Accueille son mystère, laisse toi accueillir par l’Infini en toi, laisse que monte du fond de ton être la voix qui te dit : « Je T’aime ». Fais que Dieu soit et alors tu seras. Sois corps, image de Dieu. Célèbre, prends soin, sois corps de Dieu, épiphanie charnelle de la Tendresse infinie.

(29 mai 2016)

Traduit de l’Espagnol par Rose-Marie Barandiaran