Au pape François

Cher frère François, je me suis réjoui comme un enfant quand j’ai su que vous, un jésuite accompli, vous avez choisi ce nom : François. Alliance parfaite ! me suis-je dit. Si de profondes réformes doivent se produire dans l’Église et dans la papauté – et cela saute aux yeux qu’elles doivent se produire –, nous avons ici l’homme et le nom.

François d’Assise, humble et libre, docile et subversif, toujours le mineur. Ignace de Loyola, l’esprit empli de lumière et les yeux de larmes, maître et directeur d’âmes et d’œuvres, toujours pèlerin. Tous deux aimèrent Jésus avec une immense tendresse et voulurent vivre comme lui : sans rien et avec tous. Séparés dans le temps par trois siècles – François, au seuil de la Renaissance, Ignace, au seuil de la modernité, tous deux souhaitèrent ardemment le retour de l’Église à Jésus, ils voulurent que cet imposant appareil de pouvoir et de richesse érigé autour de Rome se dépouillât, se désarmât, s’humanisât, s’évangélisât et pût offrir à nouveau le réconfort et la libération de Jésus. Mais cela ne fut pas ainsi. François vit qu’on lui organisa un grand Ordre, quant à Ignace, on se servit de lui pour mener la contre-réforme. Leur souhait ne fut donc pas accompli, mais il est toujours aussi vif et sa réalisation s’avère plus urgente que jamais.

Vous-même, vous connaissez bien l’histoire du Poverello qui inspira tant Iñigo de Loyola lors de sa convalescence des blessures de son corps et de son esprit. François aussi était blessé et en quête de vérité. Aussi, aimait-il se retirer dans la pénombre de la petite chapelle Saint-Damien, à moitié en ruine, à l’extérieur de la ville fortifiée d’Assise avec ses églises et ses marchands. Un après-midi, il lui sembla que les lèvres de Jésus crucifié lui parlaient doucement et lui disaient : « François répare mon Église qui menace ruine ». Et il s’en alla, content, mendier des pierres et soigner des lépreux.

Je me transporte par la pensée au soir du mercredi 13 mars, au moment où les deux tiers des cardinaux réunis dans la somptueuse chapelle Sixtine venaient d’élire le pape. Je n’arrive pas à imaginer Jésus de Nazareth, le prophète compatissant et guérisseur, itinérant et libre, au milieu de ce Conclave solennel, entouré de soutanes noires et de ceintures pourpres, dehors 5 000 journalistes en attente, la foule dans la place Saint-Pierre, la cheminée et les fumées, les agences de communication mondiales, frénétiques, remplissant d’images et de paroles creuses le vide spirituel dont nous souffrons. Il me vient alors à l’esprit l’image d’une autre scène sur le parvis du temple de Jérusalem : le fouet prophétique, les tables renversées, les colombes et les moutons en liberté, libérés du sacrifice, libres pour vivre et voler.

Mais je reviens à la chapelle Sixtine et je vous imagine, humble et décidé, étranger au faste et au show, écoutant des lèvres de Jésus la même parole douce et exigeante qui disait au jeune rêveur d’Assise : « François, répare mon Église qui menace ruine. Mais ne t’acharne pas à récupérer les ruines. Laisse-les s’écrouler et construis quelque chose de nouveau, ce que j’ai rêvé : un temple sans pierres, un temple de vie dépourvu de tours de pouvoir et de murs sacrés, un temple de cœurs libres et bienveillants ».

Cher frère François, vos premiers gestes nous ont émus. Vous nous avez demandé notre bénédiction et nous vous bénissons de tout cœur. Mais permettez-moi de vous dire que ni les gestes personnels ni les réformes curiales seront suffisants. Le problème réside dans la figure et le système de la papauté. Laissez que les ruines d’une Église du passé s’effondrent entièrement. Laissez que l’énorme coupole du pouvoir absolu, construit contre l’évangile, tombe. Plus vous laisserez passer le temps et plus l’Église et ceux qui attendent d’elle la bonne nouvelle et la présence de Jésus auront du mal à se relever. Déclarez solennellement qu’il n’y a d’autre hérésie que l’absence de paix et de piété, et posez d’autres fondements pour construire une autre Église plurielle et tolérante, une autre Église démocratique, issue du bas, de l’Esprit qui souffle là où il veut et en tous. Et ce, afin que tout ne dépende pas toujours d’un pape dont nous ne savons jamais de qui il dépend lui-même et que, d’ici quelques années, nous ne revenions pas à un autre Conclave faisant que, dans le fond, tout continue à être comme du temps de saint François et de saint Ignace.

(20 mars 2013)

Traduit de l’espagnol par Edurne Alegria