Un enfant dans les bras

Cette année nous avons installé une crèche spéciale, sur un lit de feuilles  grenat et jaunes, d’érable et de gingko.  Elle est aussi spéciale que la raison pour laquelle une communauté de chrétiens et de chrétiennes amis de Pampelune nous en ont fait cadeau il y a quelques mois. Et sa création est spéciale : une seule pièce de plâtre polychromé, tout en  mouvement et en douceur, où Joseph lève Jésus dans ses bras, en le serrant tendrement contre sa joue ; Marie pose les mains et penche la tête doucement sur l’épaule de Joseph, l’homme bon. Quelques brebis penchent la tête sur celles des autres et se cajolent tandis qu’une autre, plus grande et très noire, avance délicatement la tête vers le centre du Mystère. Tout baigne dans  une ambiance de bonté.

Noël c’est cette tendresse qui éclaire l’histoire humaine, le cosmos sans limites dont nous faisons partie. C’est  l’aveu que la bonté engendre et soutient la vie. C’est croire que tout est éternellement  mû par un battement profond, créateur, plus grand et plus puissant  que l’univers, plus tendre et plus petit que le cœur d’un nouveau-né. C’est la promesse que le bien prévaudra.  Et c’est l’engagement à agir pour  qu’il en soit ainsi. Chaque chant de Noël, chaque statuette de nos crèches nous l’annonce, comme le fait l’ange à Marie et à Joseph : « Ne crains rien. L’un et l’autre êtes pleins de grâce. La grâce est plus forte que les torts, que toutes tes contradictions ». Est-ce-que Noël exagère ? Cela ne dépend que de nous.

C’est le rêve le plus ancien de l’humanité et rien ne le représente mieux que la figure d’une mère  portant son fils ou sa fille dans les bras, une figure présente dans toutes les cultures depuis bien des millénaires. Nous la retrouvons par exemple dans la culture néolithique Vincha le long du Danube d’il y a 5 000 ans. De la même époque, nous connaissons des timbres sumériens de la Déesse Mère Innana ou Isthar l’enfant dans le giron et des représentations babyloniennes Sémiramis, mère vierge, son fils Tamuz dans les bras. Au Musée du Vatican, on peut voir la sculpture romaine de la Déesse Mère Isis avec son fils Horus, datant de l’an 600 avant  Jésus.

Il n’est pas surprenant que, dès les premiers temps, les chrétiens aient représenté Marie avec l’Enfant. Nous en voyons l’un des premiers exemples à Rome, dans les Catacombes de Pristila, du IIème siècle. Marie est assise avec Jésus qu’elle nourrit de son sein tandis qu’un troisième personnage montre une étoile. C’est l’icône de la Vie, du Ciel sur la Terre, de Dieu dans la chair. La tendresse soutient, nourrit, veille sur la vie. La bonté fait que Dieu naisse et grandisse sur la terre. Non pas une bonté passive et soumise qui ne serait pas bonté ; ni  une bonté parfaite, car celle-ci  n’existe pas. La bonté concrète et toujours inachevée, active et subversive.

Noël c’est croire au pouvoir de cette bonté. C’est une invitation joyeuse et aimable à donner son acquiescement à la vie, à se laisser mener par ce souffle vital, puissant et bon, qui anime tout, qui palpite éternellement dans tout ce qui est, des particules des particules atomiques aux galaxies sans nombre ni mesure. D’où naît ce souffle vital ? Il ne naît pas du néant. Serait-il simplement le fruit du hasard, froid et aveugle ? Mais le « simple hasard », le hasard absolu, existe-t- il ? Il est évident que le hasard intervient dans l’origine et le développement de la vie et  de chacun de nous , pauvres et précieux êtres vivants. Mais parler de hasard est une manière de dire que nous ignorons le pourquoi. Par ailleurs, le soi-disant hasard ne vient  pas, lui non plus, du néant, mais il se produit plutôt dans un univers infiniment complexe, ouvert, relationnel. De même le hasard, comme tout ce qui est, a lieu « en Dieu », c’est-à dire, dans le battement vital incarné dans tous les êtres du monde. Le hasard a lieu dans un univers animé par l’amour de la vie.

Personne ne connaît les causes qui expliquent sa propre naissance, la naissance de la vie ou de l’univers. Et Noël n’explique pas pourquoi la réalité est comme elle est, avec toutes ses morts et tous ses drames. Mais Noël proclame que, malgré tout, nous pouvons toujours dire « Tout va bien ». C’est-à-dire : « Tout peut finir par aller bien ». Noël nous dit : « Aime la vie et accueille toutes les choses telles qu’elles sont, pour qu’elles finissent par aller bien ». Quand quelqu’un embrasse son fils ou sa fille ou qu’il le/la tient dans ses bras, il sait que la tendresse, l’affection, l’attention existent. Il souhaite qu’elles existent et se sent appelé à agir en sorte qu’il en soit ainsi, pour que la vie née de ses entrailles vive, grandisse et soit heureuse.  Cela ne dépend que de lui, comme le fils ou la fille qu’il élève dans ses bras. « Faisons ».

Je crois en Noël et je veux le façonner. Je crois en la bonté. Je crois en Jésus qui, même s’il n’était pas parfait, a passé sa vie à faire le bien Que cela se fasse aussi en moi. Ce que nous pouvons faire ne sera que peu de chose, mais faisons-le et il grandira à l’infini.

(27 décembre 2015)