Expulsés

Enfin !

Quand la clameur a débordé les rues, quand le Mouvement 15 M a déployé son indignation sans limites, quand la Plate-forme Stop Deshaucios s’est répandue dans toutes les villes, quand la plupart des partis politiques minoritaires ont déjà demandé de changer la loi, quand même la Conférence Épiscopale Espagnole a réclamé « de donner un signe d’espoir aux familles, qui ne pouvant assumer le paiement de leur logement, sont menacées d’expulsion », quand le Syndicat Unifié de la Police (espagnole) et ceux de l’Ertzaintza1 et des Mossos2 ont décidé de soutenir leurs camarades agents s’ils venaient à être pénalisés pour avoir refusé de collaborer dans les cas d’expulsion, quand les juges eux-mêmes ont protesté contre l’actuelle loi sur les hypothèques, quand Juan Luis Ibarra, président du Tribunal de Grande Instance du Pays Basque, assure, à propos des expulsions, que les juges « essaient de faire jaillir des étincelles de Justice » d’un droit « qui se révèle, parfois, injuste » et qu’il fait appel à « une obéissance pensante » en ce qui concerne la législation (!!!), quand la Banque elle-même a bloqué les expulsions pour deux ans (ça oui, seulement « dans les cas extrêmes », et ils disent sans la moindre pudeur qu’ils le font « pour des motifs humanitaires »…), quand trois personnes déjà se sont ôté la vie avant qu’on ne leur ôtât leur logement, quand Amaia Egaña s’est jetée par la fenêtre pour ne pas être éjectée par la porte (nous appellerons cela un suicide ou un homicide ?), quand le nombre d’expulsés atteint déjà le chiffre de 400 000 personnes, … il semblerait que le PP et le PSOE également, se soient décidés, à la dernière minute et à la va-vite, à chercher une solution conjointe pour remédier aux drame croissant des expulsées.

Il ne manquerait plus que ça ! Mais mieux vaut tard que jamais, et nous sommes prêts à le reconnaître. Au fait, nous ne comprenons pas très bien pourquoi ils n’ont pas voulu associer à cet accord tous les autres partis qui les ont devancés dans cette initiative. C’est peut-être précisément parce qu’ils ont été devancés et qu’ils veulent récupérer le crédit social perdu. Cette question, comme beaucoup d’autres, est complexe et sa solution n’est pas facile. Je pense que si personne ne payait ses hypothèques, les abus se généraliseraient. Je pense aussi que si les banques renonçaient à encaisser toutes les hypothèques et s’appropriaient les logements, le système bancaire se bloquerait (quoique, compte tenu de ses agissements, je ne sais pas si nous devrions le déplorer ou le fêter).

La solution ne sera pas facile, car le problème n’est pas seulement le remboursement des hypothèques des maisons. Le problème touche toute l’économie, le modèle et le système qu’ils s’obstinent, néanmoins, à soutenir. Un système qui peut laisser et, en fait, a déjà laissé, un cinquième de la population sans travail ni salaire (et comment pourront-ils avoir une maison s’ils n’ont ni travail ni salaire ?) ; un système qui, dans l’état espagnol seulement et en quelques mois à peine, a expulsé 400 000 personnes de leurs maisons, alors que dans ce pays il y a plus de logements que d’habitants et que les banques possèdent tellement d’appartements qu’ils ne savent pas quoi en faire ; un système, en fonction duquel, l’année prochaine, l’État devrait payer 40 000 millions d’euros, à titre d’intérêts, dont beaucoup à des banques privées sauvées de la faillite avec de l’argent public, avec notre argent…

Qu’arrive-t-il donc à cette économie ? Qu’ils nous disent la vérité, car ils ne vont pas nous faire croire que la cause première de cette crise et de tous les drames qu’elle provoque est imputable aux salaires des travailleurs, aux contribuables comme vous et moi, aux citoyens en général. Qu’ils reconnaissent la racine du mal qui saute aux yeux : le dérèglement du marché financier, la spéculation incontrôlée, la corruption qui touche les grandes fortunes (comment est-il possible que l’on n’ait pas encore mis un terme ni pris des mesures pour poursuivre et interdire les paradis fiscaux, alors que circulent sur Internet des listes de noms de personnes que nous connaissons tous – entrepreneurs, politiques, politiques-entrepreneurs, présidents et ex-présidents de gouvernements – qui ont mis leurs millions en lieu sûr dans des banques suisses ?).

Il n’y aura pas d’issue au problème des expulsions tant que l’on ne trouvera pas une solution – totalement différente de celle appliquée jusqu’ici – pour cette économie et ses crises. Un moratoire de deux ans, qui est semble-t-il ce que le PP et le PSOE parviendront à accorder, n’est certainement pas la solution. Personne ne doit rester à la rue, ni maintenant ni dans deux ans. PERSONNE À LA RUE. Il ne s’agit pas de réclamer un palace, ni une mansion, mais une maison toute simple. Un logement. Chacun doit avoir toujours un logement, même si pour cela il faut changer les lois. Nous sommes des êtres d’accueil, des êtres ayant besoin d’accueil : d’être accueillis et d’accueillir. Nous sommes des êtres qui avons besoin d’un logis où nous nous sentions accueillis et où nous puissions accueillir, tout comme nous avons besoin d’une épaule sur laquelle nous puissions nous appuyer chaque nuit.

Le psaume biblique le dit de façon infiniment simple et belle : « Le passereau même trouve une maison et l’hirondelle un nid où elle dépose ses petits » (Sal. 84). Même les canards qui habitent dans les rivières, ont besoin d’un nid, certes rudimentaire mais un nid, un lieu sûr pour cacher et couver leurs œufs jusqu’à ce que tous les poussins brisent la coquille et sortent au monde et trottent et marchent ; la mère vient alors avec sa nichée, nageant gaiement et tous s’installent au petit barrage de Narrondo, près du pont, sans hypothèques ni délais ni crainte d’être expulsés.

Jésus, lui, fut expulsé, car à cette époque on expulsait déjà, il y avait aussi des abus. Jésus avait une maison, une petite maison très humble, bâtie en bois et en pisé, mais il se mit du côté des expulsés, des affamés, des endettés. Il voulut partager leur sort et leur malheur. Et il partit et on le chassa. Il s’expulsa et il fut expulsé. Un jour où quelqu’un l’aborda en lui disant : « Je veux rester avec toi, je veux être comme toi », Jésus l’avertit : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids, mais moi je n’ai pas où reposer la tête. Je suis itinérant, je n’ai pas d’abri et je vivrai ainsi, sans foyer ni patrie, pour que tous, et jusqu’à ce que tous aient table, pain et logis. Veux-tu venir avec moi ? » (Lc 9,58).

1 Police de la Communauté Autonome Basque.

2 Police de Catalogne.

(13 novembre 2012)