Le JUbilé de la miséricorde

Le 8 décembre dernier, fête de l’Immaculée Conception, le pape François a inauguré l’année jubilaire en ouvrant les portes de Saint Jean de Latran, la cathédrale du pape en tant qu’évêque de Rome. Il l’a appelée “le jubilé de la miséricorde” et la Bulle qui y convoque s’intitule “le visage de la miséricorde” en référence à Jésus de Nazareth

Miséricorde. C’est la première, la dernière, l’unique vérité de l’Eglise entre toutes ses doctrines, canons et rites. C’est le critère de jugement de toutes les religions. Et pourquoi ne pas le dire? critère aussi de la politique ou de la gestion de la vie publique avec toutes ses institutions, partis, programmes et sommets climatiques. Malheur à la politique sans coeur, sans âme, sans miséricorde!! La miséricorde est la lumière et la clef de notre vie si précieuse et fragile, de notre petite planète si vulnérable, de l’univers immense et inter-relié auquel nous appartenons. L’axe du monde
Mais que signifie “miséricorde”? Il faut s’interroger, car le langage religieux comme tout langage? – est une interminable succession d’expressions équivoques, et il faut à chaque fois revoir les mots anciens pour qu’ils continuent à éclairer l’esprit et à pousser le coeur à la bonté, pour qu’ils redisent ce qu’ils disaient à l’origine ou peut-être ont-ils voulu dire mais n’ont-ils jamais réussi à le faire. Il est nécessaire de décaper les vieilles images ternies pour qu’elles reflètent à nouveau la gloire de la vie.
“Miséricorde” étymologiquement signifie entrailles, coeur, tendresse envers le malheureux; C’est donc un des noms les plus beaux de Dieu, c’est comme si l’on disait le coeur de la Vie et de tout ce qui est. Mais les pages de la Bulle papale – magnifiques certes, inspirées, pleines de chaleur et de force – sont en même temps une preuve de l’ambigüité de notre langage religieux; sur les 25 numéros de la Bulle, le terme “péché” est utilisé 25 fois et le terme pécheur 11fois. On pourrait croire que la miséricorde de Dieu s’entend surtout comme pardon des péchés, et le péché comme infraction à la loi divine ou offense à Dieu. Les paroles deviennent sombres. L’image d’un Dieu qui pardonne est l’autre visage du Dieu qui châtie et toutes les deux sont indignes du mystère divin de la miséricorde. “Dieu ne peut pas pardonner” écrivit la mystique Julaina de Norwich au XIV siècle, car Dieu est seulement Amour, Bonté, Tendresse et il ne peut jamais être offensé ni punir; il ne peut pas non plus pardonner comme nous le faisons, nous, au sens habituel que nous donnons au mot pardon: absoudre un délit, une faute ou une offense.
L’ambigüité devient plus grave quand la Bulle parle des indulgences dans des termes du Moyen Age comme libération de la “trace négative” ou “résidu de la faute” – “reatus culpae” et “reatus poene” disaient les scolastiques – ce qui reste encore chez le pécheur même quand ses péchés ont été pardonnés par le sacrement de la confession; cette libération nous pouvons l’atteindre pour nous mêmes ou pour nos défunts qui subissent les peines du purgatoire. Comprenez-vous? Moi non plus je ne comprends pas. Luther avait raison dans ces 95 thèses contre les indulgences , à l’origine de la Réforme Protestante en 1517. A cette époque là cela était bien nécessaire et encore aujourd’hui.
Revenons au jubilé, au sens biblique originel. Tous les 50 ans, le son joyeux du jobel parcourait les monts et les vallées, annonçant le début de l’année jubilaire . C’était l’année du pardon, oui, mais non pas le pardon des “péchés” par Dieu, mais celui des dettes économiques , ces dettes qui étouffaient la vie des gens les plus pauvres. Les pauvres étaient libérés de leurs dettes, les esclaves récupéraient leur liberté, les paysans obligés de perdre la propriété de leurs terres la récupéraient; Ils pouvaient respirer. Ils pouvaient vivre. C’était le jubilé
Jésus vint, et lui aussi un jour proclama l’année jubilaire dans la synagogue de Nazareth. Et désormais toutes ses paroles et toute sa vie sont devenues le visage de la miséricorde: il a dénoncé les injustices, il a annoncé la libération de ceux qui étaient opprimés par le pouvoir impérial et la religion, il a réclamé l’annulation des dettes, il a partagé la table de tous, il a soigné les blessés, il est devenu le bon samaritain. C’est en cela que consiste le jubilé de la miséricorde.
C’est l’invitation que le pape François réitère dans sa Bulle “Misericordiae Vultus”. En voici un exemple ; ” En cette Année Sainte, nous pourrons faire l’expérience d’ouvrir notre coeur à tous ceux qui vivent dans les périphéries existentielles les plus contradictoires, que souvent le monde moderne crée dramatiquement. ! que de situations de précarité et de souffrance existent dans le monde d’aujourd’hui! que de blessures marquent la chair de tous ceux nombreux qui n’ont pas de voix parce que leur cri s’est affaibli et s’est tu à cause de l’indifférence des peuples riches. Lors de ce jubilé l’Eglise sera appelée à soigner encore plus ces blessures, à les soulager avec l’huile de la consolation, à les panser avec la miséricorde et à les guérir avec la solidarité et l’ attention qui leur est du. Ne tombons pas dans l’indifférence qui humilie, dans l’individualisme qui anesthésie l’esprit et empêche de découvrir la nouveauté, dans le cynisme qui détruit”
Bienvenue sois-tu, jubilé! Que soient remises les dettes aux personnes et aux pays condamnés sans espoir. Que les banques aient du coeur et non pas seulement des comptes et des tiroir-caisse. Que l’on ouvre les frontières. Que nous ouvrions les portes à la miséricorde, les coeurs à l’espérance. Que nous cheminions guidés par la tendresse de notre coeur, vers l’harmonie et le repos de la terre , vers la libération de tous les esclaves, vers le vrai jubilé de la miséricorde.

(13 décembre 2015)