“Fioretti” (petites fleurs) de Saint François

Au cas où vous n’auriez pas lu les “Les Petites Fleurs de Saint François”, en ce jour (04-10-2015) de la gracieuse fête du Poverello (le “Petit Pauvre”) d’Assise, je vous invite à cette lecture.
Vous découvrirez un joyau littéraire, écrit voici 750 ans sous la clarté de la Toscane et du souvenir de François. Dans de ravissants récits détachés, elles décrivent un monde transfiguré dans lequel vous pouvez vous aussi habiter, dans lequel habite déjà et rêve éveillé le meilleur enfant que vous portez au fond de vous-même.
“On a rassemblé dans ce livre – ainsi que le rapporte l’en-tête du livre – certaines petites fleurs, miracles et pieux exemples du glorieux petit pauvre de Jésus-Christ, messer saint François, et de quelques-uns de ses compagnons”. On peut lire comment un jour, par exemple, il prêcha aux oiseaux. Et comment il quémanda à un jeune les tourterelles sauvages qu’il portait au marché, les soustrayant ainsi à une mort cruelle, comment il les apprivoisa et elles vécurent en famille avec les frères de Sainte Marie des Anges. Ou comment, à Gubbio, il amadoua un loup très féroce en invitant seulement les gens à lui donner sa pâtée, car la violence ne convertit jamais le violent. Ou encore comment un beau jour, faisant route avec le frère Massée, en arrivant à une croisée de chemins, il le fit tourner sur lui-même et s’arrêter net, pour connaître la direction qu’ils devaient prendre. Ou encore comment, une fois, il envoya le frère Rufin, noble d’Assise et timide, prêcher dans une église d’Assise avec ses seules braies, et, se repentant d’avoir mis son frère dans un tel embarras, il prit sa suite également nu et prêcha ainsi; les gens pensaient qu’ils étaient devenus fous, mais, finalement, ils se retirèrent édifiés et consolés.
Ce n’est pas le temps, me direz-vous, des petites fleurs candides, ni celui des fables miraculeuses ou des contes moralisants. Vous avez raison, nous ne sommes pas là pour ça, mais les Petites Fleurs sont autre chose, vous verrez. Elles distillent fraîcheur, simplicté, liberté. Elles rayonnent, surtout, joie et bonté. Et aussi beaucoup d’inconformisme. Les Petites Fleurs sont moins naïves et plus subsersives qu’elles n’y paraissent, mais vous n’y décèlerez aucune pointe d’amertume. Elles sont comme l’Evangile de Jésus.
C’est cela que voulut François: vivre l’Evangile de Jésus avec les frères qui vinrent se joindre à lui (jamais il ne lui arriva, bien entendu, de faire ce que l’on appelle aujourd’hui de la “Pastorale vocationnelle”). Il chercha à vivre l’Evangile sans gloses ni règles compliquées, sans couvents ni demeures fixes, sans rien, rien du tout, allant de village en village, cohabitant avec les derniers et travaillant de leurs mains, demandant l’aumône lorsque seul le travail ne suffisait pas à les nourrir, et invitant tout le monde à se pardonner soi-même et les uns aux autres, à vivre en paix avec toutes les créatures, à êtres frères et mineurs, à prendre soin les uns des autres, à être heureux avec peu, et à ne pas convoiter davantage. C’est tout.
C’est de cela que parlent les Petites Fleurs, Béatitudes incarnées dans des fragments de vie.
Ce sont des fragments imaginaires, mais il s’agit de vie bien réelle. Elles furent à leur origine et continuent d’être encore une claire protestation , une provocation prophétique et pacifique, pacifique et énergique, contre le pouvoir, la richesse et toutes les conventions sociales, contre le monde des puissants de l’époque et d’aujourd’hui, contre l’Eglise établie de l’époque et d’aujourd’hui avec tous ses canons, catéchismes et hiérachies cléricales. Et contre l’Ordre franciscain lui-même, qui s’était
grandement accru, était vénéré et admiré, avait construit à l’intérieur des villes de grands couvents et avait transformé la pauvreté en vertu ascétique et la mendicité en conduite de vie aux dépens des pauvres. Les Petites Fleurs protestent.
Un beau jour, François faisait route avec le frère Massée et, arrivant affamés à un village, ils allèrent mendier chacun dans un quartier. A François, qui était petit et laid, on ne donna que des morceaux et restes de pain sec. Massée, qui était élégant et de belle prestance, recueillit de bons et gros morceaux. Ils se retrouvèrent tous deux à la sortie du village, près d’une fontaine, et ils posèrent chacun l’aumône recueillie sur une pierre. François, en voyant que les morceaux du frère Massée étaient plus nombreux et plus beaux que les siens, ne pouvait retenir sa joie et s’exclama:
“Frère Massée, nous ne sommes pas dignes d’un tel trésor”. Et comme il ne cessait de répéter la même chose, le frère Massée lui dit: “Très cher Frère, comment peut-on parler de trésor là où il y a tant de pauvreté et où il manque le nécessaire ? Il n’y a ici ni nappe, ni couteau, ni tranchants, ni assiettes, ni maison, ni table, ni domestique ou employée de maison”. Et François de lui répondre:
“C’est précisément cela que je considère comme un grand trésor: ces morceaux de pain, cette table de pierre, cette fontaine si claire. C’est le trésor de la sainte pauvreté qui en nous dépouillant de tout nous rend frères des pauvres et libres de tout”.
A la louange de la Vie plénière. Amen.

(4 octobre 2015)

Traduit de l’espagnol par Peio Ospital