Le nouveau pape sera anachronique ou ne sera pas
Après l’interminable et insensé divertissement médiatique des funérailles du pape François et du conclave de Léon XIV, je suis tombé hier sur cet article de Nuria Labari dans le journal EL PAÍS. Je le reproduis ici dans son intégralité, car elle dit bien mieux que moi ce que j’avais l’intention d’écrire. Léon XIV suivra l’enseignement sociopolitique de Léon XIII et de François dans le cadre de la vieille théologie pré moderne et selon le modèle médiéval de l’Église et de la papauté. Le monde d’aujourd’hui, en quête d’un souffle vital, mériterait autre chose de la part de l’Église qui dit suivre Jésus, ce prophète qui a affronté non seulement l’empire, mais aussi, et plus directement, le temple et la vieille théologie sacerdotale avec toute sa mise en scène. (José Arregi).
Comme je suis heureuse d’avoir un nouveau pape. Enfin, les journaux du Vatican que sont devenus tous les médias de mon pays cesseront de me raconter tous les jours la même chose. Je ne me plains pas que les informations sur l’État de la Cité du Vatican soient surreprésentées par rapport à d’autres (ce qui est également le cas), mais qu’elles manquent du contexte idéologique et institutionnel dans lequel ses activités se déroulent. Je comprends et partage l’importance historique des faits, mais je crois que l’avalanche non critique d’informations a créé un état d’opinion où nous sommes presque convaincus que la plus grande préoccupation contemporaine est de savoir qui ou comment sera le nouveau pape. Sera-t-il progressiste ? Sera-t-il dans la continuité ? Sera-t-il conservateur ? Alors que nous savons tous (toutes surtout) que cela n’a pas d’importance : il sera anachronique.
Aujourd’hui, l’Église est une institution contre-culturelle en ce sens qu’elle rejette les valeurs et les modèles de vie dominants. Et pourtant, je crois que l’on informe, on donne son avis et on pense très peu à ce fait crucial, même lorsque le Vatican monopolise l’information pendant des semaines. Je comprends que la fumée blanche soit importante, mais il me semble que la fumée rose allumée par un groupe de femmes au Vatican pour demander l’égalité dans l’Église devrait être plus importante. Car sinon, il pourrait se former un état d’esprit qui justifierait les anachronismes ultraconservateurs de l’Église. Au-delà des figures individuelles, comme Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II, François ou Léon XIV, l’Église est une institution politique autant que religieuse, elle a un État et une idéologie qui affectent la coexistence politique en démocratie (étant donné le pouvoir politique de l’institution) et pas seulement la spiritualité ou la conduite de ses fidèles. Je suis surprise de constater que l’on parle peu du fait que l’idéologie du Vatican heurte de front les constitutions démocratiques, fondées sur l’égalité, la diversité, la protection des enfants et où, bien sûr, personne n’accepterait la proclamation de l’infaillibilité du chef.
Ces dernières semaines, nous avons eu droit à un cours accéléré de théologie. Nous savons tous combien de temps dure un conclave, où vit le pape ou pourquoi certains cardinaux ne portent pas de rouge. Nous n’avons guère réfléchi à combien de temps encore on peut passer sous silence et soutenir l’anachronisme et l’impunité qui entourent l’Église catholique. Nous parlons d’une institution politique dont les cas de pédophilie sont si nombreux qu’ils ne peuvent être considérés comme des faits isolés, mais comme un modèle de comportement qui doit être éradiqué de toute urgence. Une institution machiste qui ne reconnaît toujours pas l’égalité des femmes au sein de l’Église (année 2025) et qui s’oppose de toutes ses forces politiques au droit des femmes à décider de leur corps en dehors de l’Église (avortement, contraceptifs, détermination du genre). Une institution homophobe qui ne reconnaît pas le mariage homosexuel et condamne l’identité de millions de ses fidèles. Elle remet en cause le droit de mourir dans la dignité, défendu depuis longtemps par ceux qui souhaitent mettre fin à des souffrances prolongées sans que la religiosité ou les croyances d’autrui n’y fassent obstacle. Malgré tout cela, je lis depuis des semaines que nous avons eu de la chance que le pape François soit soucieux du climat ou pacifiste, comme si l’on pouvait être autre chose au nom de Dieu. Ce qui est consternant, c’est le peu de choses que l’on dit sur tout le reste.
Nuria Labari, dans EL PAÍS, 10 mai 2025
Traduit par Dominique Pontier