Sur le chemin de la paix (I)

Il n’est pas facile de définir la PAIX, la plénitude de toutes les bonnes choses. Nous savons ce que c’est jusqu’à ce que nous commencions à le dire ou, pour le dire, nous consultons un dictionnaire, et soudain nous prenons conscience de notre ignorance. Mais plus douloureux que l’ignorance est le manque de paix. Les mots pourront-ils nous aider à la connaître et à la goûter, à l’accueillir en nous ou à marcher vers elle, ici et maintenant ?

Je lis dans la RAE (Dictionnaire de la Real Academia Española), à l’entrée Paix¸ quelques unes de ses significations : 1. Situation dans laquelle il n’y a pas de lutte armée dans un pays ou entre des pays. 2. Relation harmonieuse entre les personnes, sans confrontation ni conflit. 3. Etat de celui qui n’est pas perturbé par un conflit ou une inquiétude.

Notre ignorance et notre perplexité persistent. En effet, la première des acceptions relevées est insuffisante et trompeuse : il ne suffit pas qu’il n’y ait pas de guerre pour qu’il y ait la paix; de même que ne suffit pas “la tranquillité de l’ordre” – selon la définition de la paix proposée par Saint Augustin peu avant la chute de l’Empire romain – : il n’y a pas de paix s’il n’y a pas de justice, quel que soit l’ordre imposé par la force. Si la première acception s’avère insuffisante, les deux autres exagèrent, car la “relation harmonieuse sans conflit” ou “l’état personnel non perturbé par une quelconque inquiétude ” n’existent tout simplement pas.

Devrons-nous alors émigrer sur une autre planète à la recherche de la paix ? L’humanité – ou ce qu’il en adviendra – le fera un jour. La paix en résultera-t-elle? Il n’est pas certain que, dans l’univers infini, il existe une planète parfaite, sans “querelles et conflits” et qu’elle ne soit “troublée par aucun conflit ou inquiétude”. Et quand bien même elle existerait, personne ne pourra l’atteindre de notre vivant. Devrons-nous donc attendre la paix après la mort? Saint Augustin enseignait que ce n’est qu’au “ciel”, après la mort et la fin du monde, que nous jouirons de la vie “éternelle”, ou plutôt de la pleine vie, de la pleine félicité et béatitude, de la pleine PAIX (le problème, c’est que il destinait la grande majorité des humains à l’enfer éternel…).

Quoi qu’il en soit, nous désirons la paix ici et maintenant, et il ne s’agit pas nécessairement de la paix parfaite du dictionnaire. Laissons donc de côté les planètes parfaites, qu’elles existent ou non, et laissons de côté la “vie après la mort”. Nous vivons ici, et ici nous sommes troublés par les conflits et les inquiétudes, et ici et maintenant nous désirons la paix que nous ne pouvons trouver nulle part ailleurs.

Elle n’existe pas, mais nous y aspirons. S’il n’y avait pas d’eau, si nous n’étions pas eau, nous n’aurions pas soif. Si la paix n’existait pas, si nous n’étions pas paix, pourrions-nous la désirer ? La paix existe peut-être, mais nous ne sommes pas la paix. Peut-être aspirons-nous à ce qui n’existe pas et à ce que nous ne sommes pas ? Peut-être que nous existons en paix et que nous n’en sommes pas conscients. Ou peut-être sommes-nous la paix, mais nous ne savons pas comment parvenir à être ce que nous sommes.

Je pense que nous aspirons à ce que nous sommes dans le fond, et c’est notre horizon commun. Mais aspirer vraiment signifie marcher. Nous sommes des marcheurs sur le chemin de la paix qui est et que nous sommes.

Que serions-nous, que serait l’humanité sans le rêve, l’aiguillon, l’utopie ou l’espoir de paix ? Espérer ne signifie pas attendre ou souhaiter que quelque chose se passe. Ce serait, dans le langage d’Ernst Bloch – un penseur marxiste critique – une espérance endormie. L’espérance “éveillée” est une critique du présent, avec ses conflits violents ou son (dés)ordre établi, et constitue un stimulant pour l’avenir qu’il convient de créer. Espérer signifie marcher avec l’esprit et le souffle, faire des pas dans la direction de l’utopie, même si nous ne l’atteignons jamais.

Être un marcheur de la paix est la condition et le moyen de construire, pas à pas, la paix concrète et possible, une paix partielle et véritable. C’est aussi le moyen de vivre en paix, non pas dans une pleine paix inexistante, mais dans une paix réelle et suffisante pour continuer à marcher.
Et comment, dans notre condition limitée et incertaine, pouvons-nous continuer à marcher chaque jour malgré tout ? Je signale trois aspects ou formes fondamentales du chemin de la paix : aller plus profondément au-dedans de soi, devenir proche de son frère, de sa sœur blessée, s’immerger dans la nature qui nous entoure et que nous sommes. Il ne s’agit pas de trois voies, mais de trois dimensions d’une même et unique voie. Chacune implique les autres; si l’une d’entre elles manque, elles manquent toutes.

(Version libre de l’article publié en basque dans la revue HEMEN 68, décembre 2020, pp. 7-8).

(Traduit par Peio Ospital)

Aizarna, 23 novembre 2021