J’ai choisi de croire en Dieu

Je n’ai pas de preuves scientifiques que Dieu existe,
pas plus que de ce qu’il peut y avoir après la mort.
Je vogue déjà sur la lagune des 80 ans, les doutes criblent ma foi.
Les questions m’envahissent
face aux cruautés structurelles des puissants,
la souffrance des innocents,
la misère de tant de gens,
les catastrophes naturelles…
Où est Dieu? Pourquoi n’intervient-il pas?
Pourquoi certains brigands vivent-ils aussi bien alors que tant de braves gens vivent si mal?
Pourquoi Dieu reste-t-il les bras croisés
à la vue du méchant qui avale l’innocent?
Le silence de Dieu est insupportable face à tant de souffrance absurde.
Pourquoi n’as-tu pas épargné à ton propre Fils une mort aussi ignoble?
Terrible silence!
Si tu existes, tu es un Dieu caché… Ou serait-ce que tu es cruel? Ou impuissant?

Je n’ai pas non plus de preuves de ce que signifie la mort.
Personnellement j’ai déjà vu à plusieurs reprises ses plumes.
Nombre de compagnons de route ne sont déjà plus… Ils s’en sont allés pour toujours.
Face à tant de morts accompagnées et tant de cadavres veillés
les questions me glacent…
Où sont-ils? Peuvent-ils m’entendre? Puis-je les remercier ou leur demander de l’aide?
Tout s’achève-t-il en asticots et en putréfaction?
Et s’il n’y a rien?
Silence tombal!

Face à de nombreuses avancées de la Science la foi classique me file
comme le sable entre les doigts…
La planète Terre n’est pas le centre de la Création,
mais un simple point bleu d’un petit soleil d’une galaxie marginale…
Il se trouve que l’évolution de la vie et des êtres humains
est en marche depuis des millions d’années…
Les maladies ont des causes et des remèdes naturels…
La génétique réalise des “miracles”, dont on ne pouvait même pas rêver auparavant…
La pauvreté est un problème socio-politique…
Il se s’agit pas de possessions diaboliques, ni de châtiments divins…
Je connais des gens honorables et heureux qui ne tiennent aucun compte de Dieu.
Où sont reléguées tant de croyances et de prières visant à obtenir le bonheur
et chasser les maladies et les malheurs?
Nombre de pratiques religieuses sont un échec!
Dieu nous échappe. Il n’est pas représentable ni contrôlable.
Il n’est pas tout-puissant.
Il n’a même pas de nom… Mille noms mais aucun qui vaille.

Cependant, hébété en pleine tempête, une autre réalité s’impose à moi:
Je dois reconnaître que la foi en Dieu m’a aidé réellement
à cultiver des idéaux
à me ranger véritablement parmi les pauvres,
à surmonter de grandes difficultés,
à aider maintes gens à recouvrer leur dignité…
J’ai senti, parfois, leurs démarches silencieuses…
C’est pourquoi, j’ai choisi sagement et librement, de manière nouvelle, de croire en Dieu.
Dépassant les questionnements, je fais le saut dans le vide.
Ma vie, si engagée et si merveilleuse, est une réalité palpitante,
qui ne peut s’entendre autrement que appuyée consciemment sur Dieu.
Je ne peux nier une présence divine dans ma vie.
Ni dans la vie de beaucoup d’autres personnes que j’ai accompagnées en profondeur.
Je contemple Dieu chez des couples fortement épris et chez des mères d’une solidarité héroïque.
J’ai reconnu la présence de Dieu dans des luttes héroïques d’organisations populaires…
Je reconnais que nous ne sommes pas capables de comprendre Dieu tel qu’il est.
Il est toujours supérieur à ce que nous pouvons penser ou imaginer.
Je ne le vois pas, il m’est impossible de le toucher,
mais j’ai expérimenté personnellement ses énergies,
si douces et si puissantes…
Enfermé dans une cellule sans horizons la main de Dieu a caressé mon coeur.
J’ai senti son étreinte quand on m’a calomnié et persécuté à mort…
Avec sa double traction j’ai traversé des marais terrifiants…
Son énergie a éclairé mes virages sombres et déplacé mes lourdes machineries…
Si bien que, à mes 81 ans, je peux partager joyeusement la vie d’un quartier marginal…
C’est pourquoi je choisis de croire en Dieu, mais un Dieu différent…

A partir de mon expérience vitale de Dieu,
je peux l’admirer avec extase dans les merveilles de la nature.
Je crois que les énergies de l’Univers, pesanteur et développement, sont de Dieu,
aussi bien dans le micro que dans le macrocosme.
Je reconnais que les merveilles de l’évolution de la vie à travers des millions d’années
sont le reflet de la patiente sagesse divine.
J’accepte avec enthousiasme la lente et longue évolution des hominidés,
dans un processus mirifique d’humanisation ascendante.
Je pense que l’homo sapiens n’est pas le terme de l’évolution.
Dans un lent et long mouvement évolutif se développeront de nouveaux humains,
avec des capacités supérieures d’intelligence et d’amour.
Je crois qu’existe dans l’Univers une diversité prolifique d’êtres conscients,
en constante évolution vers le haut.
Mais j’accepte que dans cette petite planète nous ne soyons pas capables aujourd’hui
de les détecter ni de nous relier avec eux.

Je m’engage en faveur de l’accès à la dignité de tous les humains de cette planète.
Les religions ne m’importent pas trop.
L’important est qu’elles nous aident à être plus humains.
Je crois que quelque espèce de présence de Dieu intervient dans toutes les religions.
Il n’est qu’un seul Dieu.
Mais il s’insinue dans des formes diverses, selon chaque culture.
Dieu n’a besoin ni de nos prières ni de nos offrandes.
Il demeure toujours dans une attitude respectueuse et silencieuse,
disposé à affermir avec douceur nos engagements,
pour autant que nous souhaitions vraiment nous laisser aider sur le chemin de l’amour.
Dieu a remis entre nos mains la marche de l’histoire.
Et il n’a pas l’intention de nous suppléer dans nos responsabilités…
La foi en lui implique des engagements effectifs, personnels et sociaux,
afin de bâtir un monde digne et juste pour tous.

J’ai choisi de croire en Jésus, l’homme chez qui Dieu s’est manifesté en plénitude.
Il nous révèle que la toute-puissance de Dieu, c’est l’amour.
Et il nous encourage à aimer sans conditions.
Selon Jésus, on ne peut accéder à Dieu qu’à travers l’amour.
Et il nous promet, avec son aide, le triomphe définitif de l’amour…

Le Dieu de Jésus ne détient pas de pouvoir. Seul il est miséricorde.
L’être humain le fait souffrir.
Mais il est impuissant face à la liberté qu’il nous a donnée.
Il est tellement impuissant qu’il a besoin de notre concours.
Dans le visage de tout souffrant je vois le visage de Jésus qui m’interpelle.
Je le rends présent dans ma vie en vivant la miséricorde…
La seule chose qui puisse aider Dieu c’est d’aimer,
tout particulièrement les exclus, à force de fraternité.

La personne du Jésus des Evangiles m’enflamme.
Christologies et Christophanies. Et aussi romans, peintures, films…
Mais je réfute avec indignation les démarches fanatiques, dépassées ou élitistes.
Je crois au triomphe évolutif de Christ.
Il est le sommet, le point Omega, vers lequel tend la marche de l’Univers.
Je crois en sa présence interculturelle, interreligieuse et intergalactique…
J’espère que d’une certaine manière l’amour que j’ai déployé dans cette vie
se répande sans frontières,
au-delà de l’espace et du temps…
Je l’accepte, dans l’ombre, sans m’enquérir du comment.
Les yeux fixés sur Jésus, le Jésus incarné, je fais antichambre sereinement…

(en l’an 2016)

José Luis Caravias, jésuite andalou (1935). Il a consacré toute sa vie à lutter sous différentes formes avec et pour la paysannerie du Paraguay, et il est décédé mercredi dernier, 25-03-2021, à l’âge de 86 ans.

LIRE: https://www.religiondigital.org/amistad_europea_universitaria/JL-Caravias-SJ-Bergoglio-conmigo_7_1456424359.html

Traduit de l’espagnol par Peio Ospital