L’Église, l’argent et quelques mensonges

Le 9 juin dernier, Fernando Giménez Berriocanal, gestionnaire de la Conférence Épiscopale Espagnole, a présenté le rapport du dernier exercice économique de l’Église catholique dans l’État espagnol. Il l’a fait en tant qu’économiste fiable et rigoureux, mais depuis la vision ecclésiale de l’institution qu’il représente. Certes, il n’existe pas d’économie ni de rapport économique neutre, tout comme il n’existe pas de théologie pure. C’est pourquoi je me permets d’avancer quelques observations sur son rapport, à partir de ma perspective ecclésiale.

Les chiffres présentés sont impressionnants, mais ce n’est pas cela qui me scandalise. En effet, ils correspondent à ce à quoi l’on peut attendre, compte tenu de l’histoire religieuse et politique de l’Église dans ce pays, son immense patrimoine artistique et culturel, outre son inépuisable héritage spirituel. Compte tenu, également, de sa capacité de réunir toutes les semaines, encore de nos jours, 10 millions de personnes pour célébrer la mémoire de Jésus et partager son pain. Et compte tenu de ses grands privilèges hérités du passé. Tout cela ne peut s’effacer d’une année à l’autre ni d’un siècle à l’autre.

Je ne veux donc être ni puriste ni maximaliste, mais non plus un simple observateur qui s’abstient de critique. Je trouve dans la présentation de Monsieur Giménez Berriocanal des données et des interprétations qui me semblent tendancieuses et trompeuses, car partiales. Les demi-vérités peuvent être des mensonges. Aussi, vais-je en citer certaines.

Tout d’abord, cela ne me paraît pas honnête de comptabiliser l’activité de bienfaisance ou caritative de l’Église, comme par exemple Caritas, comme un apport économique de l’Église à l’État. Ne serait-il pas une justification de l’énorme contribution de l’État à l’Église et un alibi pour continuer à demander encore plus d’argent ? Ayons donc un peu plus de rigueur. Il est vrai que l’Église catholique réalise un immense travail social, très souvent de façon volontaire et gratuite. Mais les évêques, s’ils veulent être sincères, ne doivent pas ignorer ou cacher qu’une grande partie des gens, peut être même la majorité de ceux qui collaborent avec Caritas et avec d’autres institutions de bienfaisance, soit par leurs dons, soit par leur travail, ne sont pas des « gens d’Église » et ils ne veulent pas que celle-ci les utilise pour leur propagande. Caritas est certainement ce que l’Église a de mieux, et sa gestion ecclésiale est sans doute très efficace et honnête, mais les évêques ne devraient pas s’en vanter dans leurs rapports économiques. Le mérite de Caritas ne revient pas à l’institution ecclésiale, mais à des gens, croyants ou non, qui soutiennent cet organisme ; le mérite appartient aux citoyen(ne)s qui constituent l’État. Ou est-ce que les évêques pensent qu’il y a moins de charité et de justice sociale réelle là où Caritas n’est pas présent ?

De même, il ne me semble pas convenable d’affirmer que les établissements scolaires religieux font épargner à l’État 3 000 millions d’euros par an. Ces établissements, dans leur immense majorité, sont subventionnés par l’État, et dans tous les cas, ce sont des entreprises économiquement viables, grâce aux frais d’inscription qu’ils encaissent et aux dons qu’ils reçoivent. Il se peut que le coût par élève dans les établissements privés sous contrat soit bien moindre que celui des établissements publics, mais je présume que cela est dû à une meilleure gestion et, fondamentalement, au fait que le personnel

enseignant et non enseignant des centres privés travaille plus et gagne moins. Nous pourrions dire la même chose à propos des centres hospitaliers. J’insiste : l’Église ne doit pas s’arroger l’effort et la générosité des gens, qu’ils soient ou non des gens d’Église.

Je considère également comme une supercherie le fait d’affirmer, comme l’a fait le gestionnaire de l’Épiscopat Espagnol, que les différentes activités de l’Église catholique espagnole « apportent à l’État » 32 000 millions d’euros, 3,1% du PIB espagnol. De plus, je trouve de très mauvais goût le fait de déclarer, comme il l’a fait, que « chaque euro que l’on investit dans l’Église produit autant que 2,35 euros investis dans le marché ». Peut-on considérer une telle donnée comme un titre de gloire pour l’Église de Jésus ? Il n’aurait jamais dû le dire, et encore moins par les temps qui courent, dans un monde étouffé par le Grand Marché. Tout comme il n’aurait pas dû défendre l’abusive exonération fiscale dont jouissent tant d’églises fermés, de presbytères, de garages et de potagers ecclésiastiques sans utilité publique. Pour ne pas parler des nombreux biens inscrits par les évêques au patrimoine de l’Église, et ce, grâce à une loi du Gouvernement Aznar difficilement compatible avec la Constitution, et absolument incompatible avec l’Évangile.

Quelqu’un peut-il imaginer Jésus de Nazareth, le prophète subversif, le charismatique itinérant, le joyeux convive à la table de personnes socialement et religieusement marginalisées, en train de présenter le rapport économique de l’année, tel que cela a été fait ?

(26 juin 2016)

Traduit en français par Edurne Alegria