SPIRITUALITÉ CHRÉTIENNE ?

Est-il adéquat de parler de spiritualité chrétienne, comme si elle était différente de la juive, de la musulmane, de la bouddhiste ou simplement de la laïque sans étiquette confessionnelle ni expression religieuse ? En effet, la spiritualité, au-delà de toute
forme, est la même, comme le Souffle sans forme qui anime dans le fond toutes les formes est le même: l’atome d’hydrogène, la rose qui fleurit, le merle qui chante. Toute spiritualité transcende ses expressions, qu’elles soient religieuses ou laïques. Toute spiritualité vit du même Esprit qui anime, meut et unit tous les êtres.

C’est vrai. Mais il est également vrai que les êtres humains, comme tous les êtres de l’univers, nous sommes des formes animées par le souffle divin. Il n’y a pas « d’âme » sans forme, ni de forme sans « âme ». Les formes n’existent que par l’Esprit ou le Souffle qui les anime et l’Esprit n’est que dans les formes du monde qui le portent et le manifestent. Comme est l’eau dans la fontaine, le sens dans la parole, la lumière dans la couleur, la vie dans le vivant ou la conscience dans le cerveau. Ou comme est Dieu dans le monde.

Nous sommes des formes vivantes, des êtres vivants émergeant d’une forme concrète et limitée à laquelle sa propre limite ouvre sur l’infini. Nous avons des racines, nous venons d’une tradition, nous buvons à une source ; une terre concrète nous nourrit.

C’est pourquoi il n’existe pas de spiritualité intemporelle et a-culturelle, neutre ou abstraite, sans forme, mais jamais elle ne se circonscrit non plus à une forme immobile, immuable et fermée. Elle ne peut être vécue et exprimée sans quelque forme, mais elle ne doit être identifiée à aucune forme.

L’esprit se fait chair, comme la parole. La spiritualité prend forme. Chaque forme a une couleur. La lumière est la même, mais elle se rétracte dans toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, bien que les couleurs n’existent que dans l’œil qui les voit ou dans le cerveau qui les traite et il arrive souvent que ce qui est gris pour l’un est bleu pour l’autre, violet pour l’un fuchsia pour l’autre, et même vert pour l’un et rouge pour l’autre. Personne ne voit la vraie couleur, car elle n’existe pas. Aucune couleur n’est supérieure à une autre, et personne n’est propriétaire de la lumière.
Il est donc juste de parler de spiritualité chrétienne, même si elle adopte aussi des couleurs ou des tons différents, comme le vert au printemps. Il faudrait plutôt l’appeler spiritualité de Jésus, « christianisée » par les différentes Eglises qui la transmirent et, dans une certaine mesure, la trahirent en même temps. Nous continuons à la trahir.

La spiritualité chrétienne est la spiritualité de l’Esprit prophétique qui emplit Jésus d’espérance subversive, qui lui fit abandonner sa maison et sa famille, prier de nuit dans la solitude de la montagne, et aller de maison en maison, de village en village, de chemin en chemin, en annonçant : « Relevez la tête, car votre délivrance est proche ». Le Royaume ou le Jubilé de Dieu s’approche, il disait : la suppression des dettes, la récupération des propriétés et de la dignité aliénée, le repos et le soulagement de tous les vivants.

La spiritualité chrétienne de Jésus est la spiritualité de la compassion : Il vit la multitude affamée et fut épris de compassion, comme il est écrit. La spiritualité qui n’agit ni par le mandat divin, ni par la reconnaissance humaine, ni par la peur du châtiment, ni par le désir de la récompense, mais par les entrailles de la pitié pour le blessé. La spiritualité qui fait éprouver qu’il y a plus de joie à partager qu’à avoir et que cela vaut la peine de donner sa vie pour transformer le monde, même si apparemment nous échouons. Elle ne dépend pas du succès.

La spiritualité chrétienne de Jésus transcende la religion, le christianisme y compris avec toutes ses croyances, ses rites et ses formes : C’est la Miséricorde que je veux et non les sacrifices, dit-il. De la Miséricorde, pas de dogmes ni de canons, ni de liturgies, ni de temples, ni d’église ni de clergé.

La spiritualité chrétienne de Jésus, comme toute spiritualité authentique, est une forme particulière qui nous ouvre à l’Esprit universel : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive », dit-il. Mais il ajouta : « Et de son sein jailliront des sources d’eau vive ».

« Ce doit être ta spiritualité chrétienne de Jésus – pourra-t-on m’objecter – plus que la spiritualité chrétienne de Jésus ». Vraisemblablement. C’est la spiritualité que Jésus m’inspire aujourd’hui. Ni moi ni personne ne pouvons échapper à l’interprétation, nécessairement liée à la forme particulière que nous sommes chacun, même jusqu’à Jésus. Convertis ton destin en grâce. Cherche au sein de ta forme le Souffle universel. Bois l’eau de la Vie de ton propre puits.

(9 juin 2019) 

Traduit de l’espagnol par Dominique Pontier