A Javier Pagola. In memoriam

Je célèbre ta vie, Javier, maintenant que tu t’en es allé, que tu demeures pour ne plus jamais t’en aller, que tu fais à nouveau totalement un avec la Source de l’Etre, maintenant que tu VIS.

La peine nous accable, assurément, parce-que dans nos pauvres yeux ne s’allumera plus la lumière des tiens tellement remplis de clarté et de tendresse. Qu’on interroge ta bien-aimée, l’inséparable Maribel, à qui, il y a peu, balbutiant encore quelques paroles, tu disais: “Comme tu es, Maribel! Comme tu prends soin de moi!”, unis tous deux dans la même émotion, la même profonde gratitude de la vie, celle qui en recevant donne et en donnant reçoit, double et unique félicité à laquelle seul on accède à travers la mort de l’ego.

Qu’on interroge tes fils et belles-filles qui t’aimaient autant qu’ils t’admiraient et vice-versa, et maintenant ont peine à croire qu’ils t’ont perdu, mais doivent te checher à tâtons dans le deuil, comme nous. Qu’on interroge vos quatre adorables petits-enfants qui, durant tout le confinement et après, attendaient impatiemment le conte que tu leur écrivais chaque jour et les transportait au plus profond de la réalité vraie, et à qui maintenant manque le grand-père et le sage. Qu’on interroge de si nombreux compagnons et compagnes de communautés chrétiennes, de palestres sans fin de causes et projets en faveur d’une société plus juste, qui se sentent orphelins, orphelines, en ces temps difficiles où ils ont le plus besoin de toi. Nous sommes tous restés un peu orphelins.

Pourtant, je célèbre ta vie, si généreuse et féconde, si lucidement engagée, si simplement offerte. Ta vie tellement humaine, ta vie de coopération. Ta collaboration désintéressée avec Alaiz, avec Medicus Mundi, avec ton Forum GOGOA, avec tant de communautés du Guatemala et des hauts plateaux du Pérou. Je célèbre tes immenses qualités et dons: ta simple clairvoyance, ta sobriété avisée, ta courtoisie et proximité. Ta parole claire et lumineuse, précise et profonde. Ta paix rebelle et ta résistance paisible. Ta capacité de travail, ton esprit toujours à propos. Ton intelligence et ta bonté, ton amour de la vie. Ton engagement incorruptible en faveur de la vérité et de la justice, de la réalité et de l’espérance active.

Je célèbre le courage et la sérénité, la paix profonde dont tu as fait preuve durant ces longs derniers mois. Au meilleur moment de ta vie, dans la plénitude humaine et familiale qui t’auréolait, t’a frappé l’implacable ELA (sclérose latérale amyotrophique). Et toi tu l’as accueillie comme ça, sans la renier ni te dérober ni t’effondrer, sans amertume ni angoisse, avec ce naturel qui te caractérisait. Personne ne t’a entendu te plaindre. “Qu’elle est cruelle cette maladie, Javier!” te dit une fois Maribel, et toi, de lui répondre simplement: “C’est ainsi.” Ce n’était pas tant une plainte, mais cette sagesse profonde de la vie qui nous conduit à accueillir ce qui est. Et c’est l’unique manière de transformer ce qui arrive en supplément de vie, en la rendant meilleure. C’est toi qui consolais Maribel et tes fils.

Je célèbre aussi ton long et profond parcours de renouveau théologique, le même que, par bonheur, il nous a été donné de connaître comme un signe des temps. Ton cheminement du Christ dogmatique au Jésus itinérant et humain. Ton cheminement du Catéchisme catholique à la fidélité à Jésus. Ton cheminement d’une Eglise à une autre non encore aboutie et qui a peu de chances d’aboutir, mais peu importe, car l’Esprit de la Vie ne nécessite pas d’églises ni de religions. Ton cheminement de ce Dieu-là au Dieu de Jésus (au-delà de toute image de Dieu, oserais-je dire). Il est vrai que tu t’insurgeais sans agressivité mais avec fermeté contre certaines idées sur la non-Dualité entre Dieu et monde, ou sur la fin culturelle inexorable du théisme que nous étions quelques-uns à prédire, mais ta vie et aucune vie ne se joue dans l’adoption de certaines croyances ou idées en lieu et place d’autres. Toi tu le savais.

Je célèbre ton amour pour l’humanité, cette humanité qui crie dans une création en douleurs d’enfantement. Ton amour pour l’humanité, seule comparable à ton amour pour la musique. Un matin, il n’y a pas longtemps, alors que tu ne pouvais déjà plus parler, mais que tout te parlait et que tout en toi parlait, tu écoutais durant une heure et demie des airs d’opéra que choisissait ton fils, mélomane comme toi, à bas volume pour ne pas gêner les voisins. Et toi, de la main, plein d’énergie et d’enthousiasme, tu signifiais: “Plus haut, plus haut!”. Le souffle te manquait, et tu cherchais un peu d’air, un peu d’eau, et en cet instant hors du temps, l’air t’emporta par la main vers les sources de l’Etre. Je célèbre ta Pâque, Javier!

Quant à nous, nous continuons de cheminer entre lumières et ombres, de pandémie en pandémie, entre découragement et espoir, en quête du ciel nouveau et de la terre nouvelle dont jamais tu ne cessas de rêver. Désormais éveillé, tu nous accompagnes comme prophète et témoin, depuis le coeur de la Présence qui fonde tout, sans ici ni là-bas, sans avant ni après.

Aizarna, le 18 octobre 2020

Traduit de l’espagnol par Peio Ospital