LA PAQUE DU DESARMEMENT

Amie, ami, aujourd’hui c’est le jour de Pâques qui signifie passage. Nous célébrons que tout passe mais que rien ne se perd, que tout bouge et se renouvelle comme la lune et le printemps, qu’aucune mort n’est définitive et qu’aucune vie n’est condamnée, que la bonté et la vie triomphent malgré, ou plutôt, à travers tous les dégâts et toutes les morts. Regarde le laurier en fleur. Ecoute le chant de la grive. Prends le pouls des peuples pauvres.

Pour les chrétiens, Jésus de Nazareth est l’image par excellence de la pâque universelle, car il a passé sa vie à faire le bien. Et c’est pour cette raison qu’il a été condamné par le Sanhédrin juif et crucifié par le pouvoir romain. Mais c’est pour cette même raison que nous confessons qu’il est ressuscité : parce qu’il a vécu une vie bonne et éternelle. La foi en la résurrection ne proclame pas qu’il se soit produit une succession de miracles surnaturels, la tombe vide et des apparitions physiques, mais que la vie de Jésus, son insoumission pacifique, sa foi en l’avenir, sa bonté heureuse ne sont pas restées ensevelies sous une pierre froide. Et que tout pas vers le bien, si petit et si sujet à l’erreur qu’il soit, est aussi la pâque de la vie, comme celle de Jésus.

C’est pour cela que je salue comme un signe pascal le désarmement de l’E.T.A. – unilatéral, définitif et sans contreparties – qui a eu lieu, à Bayonne (Pays Basque Français), le samedi 8 avril dernier. Il est certain qu’une véritable Pâque du désarmement exigerait bien plus de pas et de désarmements infiniment plus importants – tout d’abord et surtout le désarmement du Pentagone, de la Russie et de la Chine, les plus puissants, et le désarmement des pouvoirs économico-financiers, les plus assassins et terroristes, comme l’affirme le pape François -, mais je salue et je célèbre le désarmement de l’E.T.A. comme une petite flamme pascale. C’est pour cela que j’étais à Bayonne le 8 avril. La Lune de la Pâque était croissante.

J’étais à Bayonne parce que j’en rêvais depuis 40 ans en craignant que je n’arriverais jamais à connaître ce jour. Il allait enfin arriver et il fallait être là. J’ai participé à beaucoup de manifestations contre l’E.T.A. : comment n’allais-je pas participer à cette dernière manifestation pour célébrer son désarmement final ? J’étais là en retenant mon souffle jusqu’au dernier instant, car ceux qui s’opposaient à ce désarmement, ou du moins à cette formule de désarmement, semblaient être nombreux et puissants. Mais le fait était plus important que la forme, plus important que les motivations intimes de chacun, plus important que les projets politiques légitimes poursuivis par chacun.
J’étais à Bayonne pour me rappeler avec chagrin les victimes de la violence injuste de connotation politique depuis 1960, toutes et chacune d’elles : 837 assassinés par l’E.T.A. et groupes dérivés, 167 assassinés depuis 1960 – en dehors des affrontements armés – par les Forces de l’Ordre de l’Etat espagnol et par des forces paramilitaires.

Chaque victime est unique. Chacune d’elles sans exception, chaque famille et chaque personne encore blessée mérite reconnaissance, réparation et attention. Chacune d’elles me demande de me mettre à sa place.

J’étais à Bayonne pour exprimer ma gratitude à toutes les personnes et organisations qui ont rendu possible l’avènement de ce jour, à tous « les artisans de la paix » qui se sont exposés et qui n’ont pas abandonné, même dans les pires des moments, à Jesús Egiguren, à Arnaldo Otegi, à Pello Rubio (amphitryon de la ferme Txillarre, à Elgoibar), à Jonan Fernandez et à tant d’autres, aux médiateurs internationaux, à l’archevêque de Bologne , Matteo Zuppi. J’aurais aimé remercier les évêques basques, mais aucun d’entre eux ne s’est senti concerné et n’a assisté à cette pâque du désarmement : absence grave et lamentable.

J’étais également à Bayonne parce que je ne partage pas le concept de vainqueurs et de vaincus auquel beaucoup sont encore très attachés. C’est un langage de guerre et si l’on va à la guerre c’est pour tuer. Ne sont-ils pas en train d’adopter dangereusement la logique militaire de l’E.T.A. ? La guerre est la plus grande des défaites. Et ceux qui répètent sans cesse que l’E.T.A. a échoué, serait-ce pour nous suggérer que la guerre de l’E.T.A. aurait été légitime si elle n’avait pas échoué ? La guerre est le plus grand des échecs.

Et enfin, j’étais à Bayonne parce qu’il y a encore beaucoup de blessures à guérir, beaucoup de paix et de cohabitation à construire, beaucoup de tombes et de prisons à vider. Il reste encore beaucoup de paroles, d’attitudes, de lois, de drapeaux et de patries à désarmer. Il reste dans la vie beaucoup de bon et de bonheur à ressusciter, comme la vie de Jésus, et cette Pâque-là ne se fera pas sans nous.

(16 avril 2017)

Traduction de l’espagnol par Miren de Ynchausti-Garate