TRINITE CELESTE, TRINITE TERRESTRE

Les éditions Erein viennent de publier un livre de Galo Martinez de la Pera dont la lecture m’a captivé: Hirutasun santuaren misterioa, à savoir “Le mystère de la très sainte Trinité”. Il relève de l’insolite que l’on publie en basque un livre portant un tel titre, qu’une édition laïque le publie et que sa lecture suscite un intérêt. De fait, nous l’avons bien là.

C’est un texte bref (180 pages), de style alerte et incisif, parfaitement élaboré, d’amples visions synthétiques. Un livre entre la théologie, la philosophie et l’histoire, la sociologie et la politique. Et d’une actualité brûlante, contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre. Effet de surprise. Un brillant essai qui a remporté, je pense à juste titre, le Prix Miguel de Unamuno de la Ville de Bilbao.

Il n’entend pas nous conduire dans les labyrinthes sans issue des discussions christologiques et trinitaires des IVème et Vème siècles. Non. Il se propose ni plus ni moins que de nous offrir une nouvelle explication “matérialiste” de l’histoire, très eloignée du matérialisme historique marxiste. Ce ne sont pas, affirme-t-il, les relations économiques entre le capital et le travail qui constituent le substrat “matériel” qui explique l’histoire, mais bien la relation entre le langage et l’écriture. Le pouvoir absolu s’appropria le langage et l’écriture, l’esprit et la lettre, la liberté d’interprétation et, partant, le progrès. De sorte qu’il détruisit la racine culturelle, la langue ou l’âme des peuples. L’Empire et les Etats étouffèrent les communautés particulières et leur communion.

C’est ainsi qu’a été l’histoire, en effet. Et elle continue de l’être, avec une réserve: de plus en plus, les mêmes Etats se voient soumis à un autre pouvoir supérieur: les élites financières sans autre patrie que Mammon, le Dieu du Marché. Mais qu’a à voir tout cela avec le titre de l’essai que je commente ? Tout, puisque l’auteur soutient que c’est le christianisme qui a été la cause de cette malheureuse histoire, que la Très Sainte Trinité est le coeur conceptuel légitimateur (unique Père tout-puissant, unique Fils de Dieu sauveur, unique Esprit inspirateur au service du grand Pouvoir), et que tout cela fut élaboré et échafaudé à partir de rien par le premier apôtre chrétien à proprement parler: Paul de Tarse. Au nom du Dieu chrétien et de l’unique vraie religion, les nations-Etat chrétiennes – dont la réalisation et l’expression optimales sont les Etats-Unis d’Amérique – ont détruit la communauté humaine.

Je ne m’aventurerai pas ici à débattre si, dans son histoire bimillénaire, le christianisme et lui seul est le responsable de tous les maux, et précisément de l’anéantissement de religions, cultures et communautés. Qu’il en fasse la preuve. Mais je réfute catégoriquement presque tout ce que l’auteur affirme sur les origines du christianisme. La recherche historique actuelle la plus critique et autorisée dément catégoriquement que le christianisme originel ait été destructeur et ait été forgé par Paul, que celui-ci ait conçu la Trinité chrétienne (non définie jusqu’au Concile de Constantinople en l’an 381), qu’il ait “dérobé” les Ecritures juives et “dénaturé” leur sens originel, qu’il ait réinventé de toutes pièces et déjudaïsé entièrement le personnage de Jésus, en commuant un pauvre homme ignorant et terroristophile en Fils de Dieu, être céleste préexistant. Ou que Paul ait rompu une fois ou en quelque chose avec sa foi juive. Ou bien qu’il ait fondé une Eglise hiérarchique au service du Pouvoir, et que les évangiles aient été écrits pour légitimer le projet paulinien et qu’ils ne contiennent pas de données historiques fiables sur l’homme Jésus. Tout cela est tout simplement faux, comme l’est, en conséquence, le fait de prétendre que le message et la praxis de Paul, sans dire de Jésus, sont à l’origine de la destruction de la communauté humaine.

Les chercheurs sont quasiment unanimes pour reconnaître que Jésus, fils de père et de mère, disciple de Jean, fut un prophète guérisseur libre, réformateur, mais parfaitement juif. Une des plus éminentes autorités dans la recherche historico-critique sur Jésus et les origines du christianisme, John Dominic Crossan, publia en 2002 un livre de 690 pages sur le christianisme d'”avant Paul”. Il y écrit: “Celui qui part de Paul interprétera Jésus de manière incorrecte; celui qui part de Jésus, interprétera Paul de manière différente”. Galo Martinez part de Paul et je crois qu’il défigure non seulement Jésus, mais aussi Paul.

En dépit de tout cela, je souscris à la conclusion du livre. En cette heure grave, il nous reste une seule issue: construire une communauté, des communautés, en respectant et en préservant, du début à la fin, leur terreau nourricier culturel, linguistique, spirituel. Et recréer la Terre comme une grande communauté de communautés. Faute de quoi, nous allons tout droit dans l’abîme.

Je fais mienne la profession de foi de l’auteur dans la trinité communautaire constituée par les anciens, les femmes et les enfants, “la véritable trinité salvatrice”, “la trinité terrestre qui protège le mystère de la vie et le secret  de la survie des peuples”. J’ajouterais seulement: si je comprends bien, ce qu’il appelle la “trinité terrestre” est, dans le fond, le sens du Mystère “céleste” de la Très Sainte Trinité chrétienne.

(13 octobre 2019)

Traduit de l’espagnol par Peio Ospital.