Modération

La modération est une vertu fondamentale de la vie. En employant le mot « vertu » je ne me réfère pas à son acception morale, ascétique et religieuse, mais à son sens étymologique : force. La modération signifie force vitale tranquille, énergie sereine et invincible.

Elle est faite de sagesse, mesure, tempérance. Sagesse : le bon sens de la cordialité. Mesure : la sagesse inspirée par la mesure de toute chose et de nous-mêmes. Tempérance : l’équilibre du désir, libre et tempéré.

La modération exige de la retenue et du renoncement, toutefois, ces attitudes n’en sont pas l’inspiration ni le mobile. Elle n’est pas non plus le fruit de l’effort. Ne force rien, ne te force pas. Le sage Laozi enseignait : « Celui qui se tient sur la pointe des pieds ne reste pas longtemps debout, celui qui fait des longs pas ne peut aller très loin » (Dao De Jing, 24). Laisse la force couler du plus profond de ton être.

La modération jaillit lorsque nous accueillons nos ombres et blessures, quand nous nous ouvrons au souffle profond. Les ambitions se dissolvent et les complexes se dissipent. Nous n’avons nul besoin de lutter contre nous-mêmes ni contre ce qui, chez les autres, menace nos rêves illusoires de grandeur. Nous n’avons rien à défendre, personne à attaquer. Nous devenons modestes, humbles. C’est alors qu’émerge la mesure, ferme et sereine.

La modération est notre être véritable, naturel. Et nous n’en sommes pas loin, comme nous serions tentés de le croire. Nous n’avons qu’un seul pas à faire : reconnaître et accueillir les fantômes, les peurs, les angoisses qui nous habitent, et permettre qu’ils se diluent, sans nous défendre ni nous agresser. Sans nous condamner pour ce que nous sommes ni aspirer à ce que nous ne sommes pas.

Mais la modération n’est point une question strictement personnelle et privée, mais éminemment sociale, économique, politique, écologique et planétaire. De même que pour la Voie du Milieu préconisée par Bouddha : elle n’est pas un simple détachement (faussement) « spirituel » ni un simple « juste milieu » (fictif) entre deux extrêmes, mais bien de l’humanité, de la compassion engagée. La modération est une manière solidaire de vivre, de travailler, de produire et de consommer, dans un monde où les excès des uns provoquent les carences mortelles des autres, où l’opulence déprédatrice des uns rompt l’égalité humaine et l’équilibre de la vie sur la planète. La modération — sagesse, mesure, tempérance — implique une vision politique de la réalité, un programme politique global, une action politique pacifique et subversive contre le système dominant inhumain. C’est de la modération personnelle et commune que dépend la survie de l’humanité et de la communauté planétaire des vivants.

Et pour finir, je dirai que la modération personnelle et politique jaillit d’une profonde confiance et qu’elle s’y appuie. Ainsi l’exprime le Psaume 131, l’un des plus beaux et profonds de la Bible :

Seigneur, mon cœur est sans prétentions ;
mes yeux n’ont pas visé trop haut.
Je n’ai pas poursuivi ces grandeurs, ces merveilles qui me dépassent.

Au contraire, mes désirs se sont calmés et se sont tus,
comme un enfant sur sa mère.
M
es désirs sont pareils à cet enfant.
Israël, mets ton espoir en l’Éternel, dès maintenant et pour toujours !

Notre être égocentré est puéril, volage, inquiet, proie inconsciente de besoins et de désirs superficiels. Ce psaume est un cantique à la paix, une invitation à calmer, modérer, replier notre désir égoïque, à l’image d’un enfant sevré dans les bras de sa mère.

Si ce Psaume tout simple t’inspire, mémorise-le et répète-le souvent, surtout quand  tes prétentions de grandeur ruinent ta paix, et chaque nuit avant de t’endormir, en déposant ta confiance en ce qui est de plus profond en toi et en ton prochain, dans le Souffle vital qui engendre et soutient tout ce qui est.

Aizarna, 1er mars 2021

(Publié à VARIOS, Respira tu ser, Ediciones feadulta.com, Madrid 2021)
Traduit de l’espagnol par Edurne Alegria